Azerbaïdjan : RSF demande la révision d’un projet de loi légalisant la censure
En Azerbaïdjan, le parlement s’apprête à adopter un texte portant gravement atteinte à la liberté de la presse. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les autorités à réviser ce projet de loi qui contredit la Constitution azerbaïdjanaise et les principes de la Convention européenne des droits de l’homme.
Mise à jour : Le parlement a adopté le 30 décembre 2021 en troisième et dernière lecture le texte modifiant la loi "sur les médias". La loi est entrée en vigueur le 8 février 2022.
Les députés du Milli Majlis, le parlement azerbaïdjanais, s’apprêtent à adopter demain en troisième et dernière lecture un texte controversé visant à modifier la loi sur les médias, préparé dans le secret depuis le printemps dernier. Le 28 décembre, plus d’une trentaine de journalistes représentant des médias indépendants et d’opposition ont protesté contre ce projet devant le bâtiment de l’Assemblée nationale, dans la capitale Bakou. Frappée par une policière, la reporter Nargiz Absalamova souffre d’une fracture au coccyx. C’était la deuxième manifestation organisée sur ce sujet, malgré les risques de répression par les forces de l’ordre.
Le projet de loi prévoit entre autres la création d’un registre des journalistes ainsi qu’une carte de presse unique. Seuls ceux qui détiendront cette carte et dont le média sera enregistré par les autorités pourront bénéficier du statut de journaliste, les autres risquent de voir leur activité restreinte, en particulier le travail avec leurs sources officielles, qui pourront ignorer leurs questions. Or, c’est l’État qui choisira arbitrairement qui est journaliste ou non, à l’issue d’un “test” sur lequel aucun détail n’a été dévoilé. Et les autorités détiendront la liste et les détails personnels de tous les journalistes et médias enregistrés (adresses, comptes bancaires, contrats, etc.), ce qui fait peser sur eux un risque supplémentaire, dans ce pays contrôlé par le président autoritaire Ilham Aliev considéré par RSF comme un prédateur de la liberté de la presse.
Ce texte entravera encore davantage le travail des médias qui sont basés à l’étranger pour éviter les pressions, comme Meydan TV à Berlin, ou des chaînes de télévision sur internet : sans enregistrement du média en Azerbaïdjan, l’activité de leurs correspondants sur place devient illégale. En outre, les journalistes devront se conformer à de nouvelles règles, telles que l’interprétation “objective” des faits et événements sans que celle-ci ne soit définie, laissant libre cours à l’interprétation des juges, ou encore l’interdiction de diffuser toute information d’une source non officielle. Impossible donc d’enquêter sur des sujets d’intérêt général au-delà des informations officielles ou de critiquer les méthodes des autorités. Un autre article interdit par exemple la diffusion de toute image d’une personne, même dans l’espace public, sans son autorisation écrite — un moyen d’éviter, entre autres, toute vidéo prouvant des fraudes électorales.
“Cette loi émaillée de formulations imprécises et de contradictions vise à contrôler encore davantage la sphère médiatique et à légaliser la censure, estime Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF. Elle viole l’article 50 de la Constitution azerbaïdjanaise sur la liberté d’information et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la liberté d’expression (CEDH). L’État outrepasse ses pouvoirs en interférant dans l’activité professionnelle des journalistes, sans aucune concertation avec des médias indépendants ou des experts spécialisés dans la liberté d’expression. RSF exhorte le gouvernement et le parlement azerbaïdjanais à revoir entièrement ce texte dans le respect de la Constitution et de la CEDH, et à promouvoir des options d'autorégulation.”
Particulièrement harcelés par les autorités, y compris au-delà des frontières de l’Azerbaïdjan, les journalistes critiques et les médias indépendants jouent un rôle majeur pour informer sur la réalité de la situation du pays, au-delà de la propagande servie par le régime. Le projet de loi soumis au vote risque de les réduire au silence.