« Aidez-nous à empêcher le Zimbabwe d'être un exemple de la répression brutale et inique » : lettre ouverte à Nelson Mandela
Organisation :
Paris, le 28 juin 2005
Monsieur le Président,
Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite relayer auprès de vous l'appel angoissé des journalistes indépendants du Zimbabwe.
Ce qui motive notre démarche auprès de vous, c'est que le Zimbabwe s'est récemment enfoncé davantage dans la répression. Une nouvelle loi doit entrer en vigueur dans les prochains jours, qui prévoit des peines allant jusqu'à 20 ans de prison pour la « publication de fausses nouvelles ». Depuis 2002, la loi zimbabwéenne était déjà l'une des plus draconiennes d'Afrique pour la presse et, de mois en mois, l'arsenal législatif du pays devient plus riche et plus terrorisant. Le président Robert Mugabe l'assume et en fait un usage enthousiaste, puisque rien ne l'arrête.
Depuis plusieurs années, le gouvernement qu'il préside a fait s'abattre sur la presse indépendante de son pays tous les moyens de répression à sa disposition. Brutalités policières, harcèlement par les services secrets, sanctions lourdes d'une justice influençable et encadrée par des lois draconiennes sont devenus le lot quotidien des journalistes qui ne chantent pas les louanges du régime. Le Daily News, dont vous connaissez la qualité et que notre organisation a distingué du prix Reporters sans frontières-Fondation de France en 2003, n'a toujours pas été autorisé à reparaître, bien que la Cour suprême ait reconnu que son interdiction était illégale. Ces dernières semaines, les journalistes qui écrivaient dans ses colonnes en 2003 reçoivent, chacun à leur tour, une convocation au tribunal pour répondre devant la justice de ce « crime impardonnable » aux yeux de Robert Mugabe : ne pas avoir été docile en rendant compte de la réalité. Ils risquent de passer deux années de leur vie en prison, dans ces geôles que l'ancien député Roy Bennett, libéré le 28 juin après neuf mois de détention, a décrit comme un « enfer » où les gardiens lui ont octroyé pour seul vêtement un uniforme couvert d'excréments humains. Leur sort sera scellé le 12 octobre prochain.
Mais l'oppression exercée sur les journalistes zimbabwéens ne se limite pas au Daily News. Notre organisation recense chaque jour ou presque le cas d'un nouveau journaliste menacé, harcelé, emprisonné, expulsé, brutalisé ou poussé au chômage. Vous connaissez la réalité de l'emprisonnement, la réelle privation de liberté qui se cache derrière des termes juridiques abstraits. Vous savez donc qu'au-delà de ces articles de loi, des hommes et des femmes souffrent, comme vous avez souffert pendant 27 ans par la faute d'un régime raciste dont les armes favorites étaient, outre le fusil, l'injustice et la dissémination de la peur. Aujourd'hui, ces mêmes armes sont utilisées aux frontières de votre pays, entre Beitbridge et Kanyemba.
Malgré nos appels et ceux d'autres organisations internationales, malgré les demandes répétées des gouvernements alliés de l'Afrique du Sud, le président sud-africain Thabo Mbeki se refuse à condamner le sort réservé par Robert Mugabe à son peuple. Au-delà de votre courage personnel, ce sont les luttes intérieures et la mobilisation internationale qui ont permis que, le 11 février 1990, vous puissiez quitter la prison où les juges qui vous avaient condamné vous avaient envoyé pour la vie. Aujourd'hui, Reporters sans frontières fait appel à vous, à votre autorité sur le continent africain et au respect que vous inspirez pour aider le Zimbabwe. Nous vous demandons solennellement de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que les journalistes zimbabwéens, au moins, puissent exercer leur métier sans crainte de subir la brutalité d'un Etat-prédateur. Aidez-nous à empêcher le Zimbabwe d'être un exemple de la répression brutale et inique.
En espérant que vous serez sensibles à nos arguments, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération.
Robert Ménard, Secrétaire général
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Rappel des faits
Le 2 juin 2005, le journal officiel du Zimbabwe a publié la modification du chapitre 9.23 du code pénal, après l'approbation du président Robert Mugabe. La nouvelle loi, approuvée par le Parlement fin 2004, prévoit des peines d'emprisonnement et d'amende plus importantes que les lois liberticides en vigueur depuis 2002, le Public Order and Security Act (POSA) et l'Access to Information and Protection of Privacy Act (AIPPA). Le texte criminalise le fait de « publier ou communiquer à toute autre personne à l'intérieur ou à l'extérieur du Zimbabwe » une « déclaration intégralement ou matériellement fausse dans l'intention, ou en ayant conscience qu'il existe un risque ou une possibilité, de :
- Inciter ou promouvoir le désordre public ou la violence publique, ou mettre en péril la sécurité publique.
- Affecter négativement la défense ou les intérêts économiques du Zimbabwe.
- Saper la confiance publique dans une agence chargée de faire respecter la loi, l'administration pénitentiaire ou les forces de défense du Zimbabwe.
- Interférer dans, troubler ou interrompre tout service essentiel. »
Selon la loi, le crime est constitué même si la « déclaration » n'a pas eu pour résultat l'un de ces scénarios. Un journaliste condamné en vertu de l'article 31(a) du nouveau texte est passible d'une peine allant jusqu'à 20 ans de prison ou une amende de 2,5 millions de dollars zimbabwéens (environ 210 euros). La date d'entrée en vigueur de cette nouvelle disposition doit être publiée prochainement. Interrogé, le ministère de la Justice affirme que cette publication peut intervenir « à tout moment ».
Depuis 2002, les journalistes zimbabwéens étaient déjà menacés par de longues peines d'emprisonnement en vertu des lois existantes. L'article 15 du POSA prévoit par exemple une peine de cinq ans de prison et 100 000 dollars zimbabwéens d'amende pour la « publication d'informations incorrectes ». L'article 80 de l'AIPPA, de son côté, prévoit une peine de deux ans et 400 000 dollars zimbabwéens d'amende pour la « publication de fausses nouvelles ».
Publié le
Updated on
20.01.2016