RSF appelle les autorités afghanes à assurer la protection des journalistes dans les zones de conflits
Reporters sans frontières (RSF) exprime sa vive inquiétude pour la sécurité de centaines de journalistes et médias dans plusieurs province d'Afghanistan sous le coup d’une intensification des attaques des Talibans et du groupe Etat islamique (Daech).
“Le devoir de l’État, des forces de l’ordre et des services de sécurité est de protéger les journalistes et les médias. Assurer la sécurité du peuple afghan, c’est aussi assurer le droit de ses journalistes d’informer, déclare Réza Moïni, responsable du bureau Iran-Afghanistan de Reporters sans frontières. Nous demandons au président Mohammad Ashraf Ghani et au chef de l’exécutif Abdullah Abdullah d'appliquer les mesures adaptées pour la protection des journalistes. Dans ces moments risqués, les démocraties membres de l’OTAN engagés en Afghanistan doivent également assumer leurs responsabilités. Les journalistes afghans ne doivent pas être découragés par les menaces des Talibans et la silence de la communauté internationale.”
Le premier objectif de ces prédateurs de la liberté que sont les Talibans et l’Etat islamique est de priver la population d'une information indépendante, en créant un climat de terreur qui réduit au silence les médias. Malgré les efforts courageux des journalistes pour assurer leur devoir d'informer, les zones de conflit (provinces d’Helmand, Koundouz, Baghlân, Nangarhâr, Takhâr, Ghazni et Farâh) sont en train de devenir des vrais “trous noirs de l’information”, et la liberté de l’information dans ces zones disparaît.
Dans un point presse le 22 août 2016, le général Charles Cleveland, un des porte-parole des troupes américaines en Afghanistan, a assuré précisant: “L'armée afghane est sur le bon chemin, Helmand et Koundouz ne tomberont pas aux mains des Talibans.” Les médias parlent que 100 militaires américains sont présents dans la province d’Helmand.
Actuellement, une dizaine de médias et une centaine des journalistes travaillent dans ces provinces, sous les menaces directes des assaillants et parfois la pression des autorité locales. Ainsi à Lashkar Gah, chef-lieu du Helmand, au moins 100 journalistes, travaillant pour 4 chaînes de télé (3 privées, 1 publique), 8 radios et 5 journaux de la province ou les correspondants des médias nationaux sont encerclés dans la ville. Contacté par RSF, un des journalistes sous couvert d’anonymat explique: “Nous travaillons mais nous sommes inquiets. Depuis quelque temps, plusieurs journalistes radio refusent qu’on enregistre leur reportage eux-mêmes, de peur d’être identifiés. Depuis l’avancée des Talibans vers la ville, on ne peut plus sortir de la ville pour faire notre travail. Avant, ils nous menaçaient par téléphone et de loin; maintenant, ils sont à 2 kilomètres d’ici! Donc les menaces sont sérieuses.”
“Le bureau du président de la République a demandé aux responsables locaux et à la sécurité nationale de tout faire pour assurer la protection des journalistes, a assuré à RSF Shah Hussain Mortazawi, porte-parole du président, et ancien rédacteur en chef du quotidien 8 Sobh (lauréat du Prix Reporters sans frontières pour la liberté de la presse 2012). Pour faciliter le travail des journalistes, nous avons décidé d’activer les centres des médias dans les zones de conflit. Par exemple en Helmand, ce centre est ouvert tous les jours, avec la présence de responsables politiques et militaires pour informer les journalistes.”
Plusieurs journaliste de deux ville encerclé Lashgar gah et Koundouz confirme que depuis après la chute de Koundouz le 28 septembre 2015 ont avertis les autorité des dangers des nouvelles attaques et répétition de la même catastrophe, mais aucune action n'est pas faite.
Le 22 août 2016, la Fédération des journalistes d'Afghanistan a organisé à Kaboul une rencontre entre responsables de la sécurité du pays et dirigeants des médias, pour discuter de la protection des journalistes dans les zones de conflits. “Les deux côtés ont évoqué les difficultés, notamment concernant la protection des journalistes et le peu d'information donné par les responsables de certaines régions, a expliqué à RSF Fahim Dashty, porte-parole de l'Union nationale des journalistes d’Afghanistan (UNJA), membre de la Fédération. Du côté des responsables aussi, certains ont déploré la publication d’informations incorrectes voire dangereuses. Dans plusieurs cas, notamment concernant la sécurité ou les violences, je peux dire que jusqu'ici les responsables collaborent bien avec nous.” Il a également précisé: “Pour les zones de conflits, nous avons proposé la création de commissions mixtes composées de responsables et de reporters, afin de mieux gérer les difficultés sur place.”
Shafiqa Habib, directrice de l’Union des femmes journalistes (Afghan Women Journalist Union, AWJU), qui réunit plus de 400 femmes journalistes présentes dans 14 provinces du pays, n'est pas optimiste: “De façon générale, ces dernières années, la situation des femmes journalistes s’est dégradé, même dans les provinces calmes et sûres. En Helmand par exemple, il n'y a pas de journalistes femmes! Les premières victimes de la dégradation de la situation sécuritaire sont les femmes, et les femmes journalistes en particulier. À Koundouz, plusieurs journalistes femmes ont quitté la ville, par peur ou juste par impossibilité de travailler.”
Parlant sous couvert de l’anonymat, un des responsables de la sécurité nationale reconnaît l'insuffisance de protection pour les journalistes tout en insistant sur l'“incompétence” de certaines entre eux. “Ils appellent les gens dans la région pour avoir plus d'information sans connaître leurs sources. Parfois, ils publient des informations erronées, voire de la désinformation venant des Talibans. Je ne veux pas généraliser, mais on est en guerre, et il faut que les reporters de guerre fassent les vérifications nécessaires de leurs informations.”
Selon les informations recueillies par RSF, les journalistes travaillant dans ces zones de conflit sont pris entre deux feux: d’un côté, ils sont menacés par les Talibans qui leur reprochent de ne pas être neutres, de l’autre ils sont accusés par les responsables locaux d’exagérer et de noircir la situation.
Rahimullah Samander, président de l’Association des journalistes indépendants afghans (AIJA), actuellement en mission à Pol-e Khomri (chef-lieu de la province de Baghlân) pour examiner la situation des journalistes, décrit une situation inquiétante. “Tous les journalistes que j'ai vus sont inquiets. Dans ces trois provinces stratégiques de Baghlân, Koundouz et Takhar, la guerre est intense. Au moins une cinquantaine journalistes locaux et plus d'une dizaine de reporters travaillant pour des médias nationaux ou étrangers sont présents dans ces régions. Force est de constater que les journalistes locaux ne bénéficient pas du soutien de médias nationaux ou étrangers, et sont moins bien considérés par les responsables militaires ou politiques, qui en même temps les accusent de diffuser des informations inquiétantes.”
Le 23 août 2016, la Procédure de la sécurité et la protection des journalistes a été adoptée par le Conseil de la sécurité nationale, présidé par Mohammad Ashraf Ghani, président de la République. Débattue depuis des mois, cette procédure a été préparée conjointement par la Fédération des journalistes d’Afghanistan, le Conseil de sécurité nationale et les conseillers du président de la République. Bien que le texte ne soit pas encore connu, RSF accueille avec satisfaction l’adoption de ces mesures qui devraient améliorer la situation des journalistes.
L’Afghanistan est classé 120e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2016 établi par Reporters sans frontières.