Répression “à la turque” contre les dernières voix critiques en Azerbaïdjan

Reporters sans frontières (RSF) dénonce l’arrestation de Faïg Amirov, directeur financier du journal Azadlig, le 20 août 2016. L’organisation réclame l’abandon des poursuites absurdes lancées contre lui.

Arrêté le 20 août, Faïg Amirov a été mis en examen deux jours plus tard pour “incitation à la haine religieuse” et “atteinte aux droits des citoyens sous prétexte d’accomplir des rites religieux”. Il a été placé en détention provisoire pour trois mois. Les autorités accusent le directeur financier du quotidien d’opposition, par ailleurs conseiller du président du parti Front Populaire, d’être un “imam” du mouvement de Fethullah Gülen, l’ennemi numéro un du président turc Recep Tayyip Erdogan.


L’accusation se fonde essentiellement sur des livres exposant la philosophie du mouvement Gülen, “retrouvés” dans le coffre de la voiture de Faïg Amirov au moment de son arrestation. Ces livres n’appartiennent pas au directeur financier d’Azadlig, ce qui fait dire à la célèbre journaliste indépendante Khadija Ismaïlova : “Ils avaient l’habitude de monter de toutes pièces des dossiers contre les critiques en ‘retrouvant’ [chez eux] des armes ou de la drogue. Leur technique s’est améliorée, maintenant ils ‘retrouvent’ des livres.” Cacher de la drogue dans les effets personnels d’opposants ou de journalistes est en effet une technique éprouvée de la police azerbaïdjanaise. Mais comme le souligne l’avocat de Faïg Amirov, Agil Laïdjev, les publications incriminées ne sont de toutes façons pas interdites en Azerbaïdjan.


“En empruntant à Erdogan le leitmotiv de la ‘chasse aux gülenistes’, le régime azerbaïdjanais a trouvé un prétexte idéal pour lancer une nouvelle campagne de répression contre ses propres critiques. Quitte à atteindre des sommets d’absurdité, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. S’il était besoin de prouver que la libération de quelques prisonniers politiques au printemps n’était qu’une concession tactique, la voici. La communauté internationale doit impérativement se remobiliser pour exiger de Bakou la fin de la répression et la restauration du pluralisme – c’est-à-dire ni plus ni moins que le respect de ses propres engagements vis-à-vis des citoyens azerbaïdjanais et d’institutions comme le Conseil de l’Europe.”


Suite à l’arrestation de son directeur financier, Azadlig a alerté ses lecteurs que sa survie était menacée et appelé à la mobilisation la plus large pour faire cesser la répression. “Le journal Azadlig poursuivra ses activités dans ces conditions difficiles et restera jusqu’au bout attachée à la liberté d’expression”, a conclu la rédaction dans un communiqué. En proie depuis des années à un harcèlement multiforme, le principal quotidien d’opposition est dans une situation des plus précaires. Son rédacteur en chef, Ganimat Zahid, a lancé en exil une émission télévisée satellitaire, d’ores et déjà qualifiée de “güleniste” par la presse gouvernementale. Les autorités s’acharnent sur les proches de ce journaliste restés au pays, dont plusieurs ont été emprisonnés sous des prétextes fallacieux.


Le régime autocratique d’Ilham Aliev multiplie les arrestations d’opposants depuis la mi-août, à l’approche d’un référendum sur un nouveau renforcement des pouvoirs du président de la République. Le prétexte de la lutte contre la confrérie Gülen lui permet de prétendre s’inspirer de la chasse aux sorcières lancée en Turquie depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016. Proche allié de Fethullah Gülen pendant plus d’une décennie, Erdogan s’en est progressivement éloigné, avant de le désigner comme le cerveau du coup d’Etat raté. De la même manière, les autorités azerbaïdjanaises ont longtemps affiché leur proximité avec la confrérie, avant de la diaboliser aujourd’hui.


L’Azerbaïdjan occupe la 163e place sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF.
Publié le
Updated on 24.08.2016