Liberté de la presse au Soudan : la révolution se fait toujours attendre
Près de huit mois après le départ d’Omar el-Béchir, renversé par les militaires lors du soulèvement populaire, et quatre mois après la remise du pouvoir à un gouvernement dirigé par un civil, les arrestations de journalistes et confiscations de journaux ont cessé mais le paysage médiatique reste encore largement sous le contrôle des forces de l’ancien régime. Reporters sans frontières (RSF) demande aux nouvelles autorités de favoriser l’émergence d’un journalisme indépendant, préalable indispensable à une transition démocratique réussie.
Environ trois cents journalistes ont manifesté devant le ministère de la Culture et de l’Information à Khartoum, la capitale du Soudan, lundi 2 décembre. Les professionnels des médias réclament des changements de têtes à la SRTC, le groupe audiovisuel public soudanais et le départ des agents du renseignement infiltrés dans une grande partie des rédactions. Plusieurs mois, après l’installation d’un gouvernement dirigé par un civil, la plupart des médias restent sous le contrôle ou l’influence de l’ancien régime d’Omar el-Béchir, l’un des plus grands prédateurs au monde concernant la liberté de la presse.
Les services secrets soudanais (NISS) ont mis fin aux aspects les plus visibles et les plus répressifs de la politique de censure dont ils ont été le bras armé de l’ancien régime au cours des trente dernières années. Les confiscations de journaux et arrestations de journalistes (une centaine recensée par RSF durant le soulèvement populaire entre décembre 2018 et avril 2019), ont cessé. Le nouveau premier ministre Abdallah Hamdock, investi au mois d’août 2019, s’est engagé à ne plus mettre un seul journaliste en prison. Le Soudan fait également partie des pays ayant signé le pacte pour défendre la liberté d’informer lancé à l’initiative de la Grande-Bretagne et du Canada en juillet dernier.
“Chute des arrestations des professionnels de l’information, fin des confiscations de journaux, plus grande liberté de ton, les premiers signes d’une politique plus favorable à la liberté de la presse sont encourageants mais ils restent insuffisants, constate Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Une très grande partie du paysage médiatique est encore sous l’influence et parfois le contrôle des forces de l’ancien régime. L’émergence d’un journalisme indépendant ne pourra avoir lieu sans réforme de l’appareil sécuritaire, des lois draconiennes contre la presse et du paysage médiatique encore dominé par les partisans d’une information sous surveillance.”
Un appareil sécuritaire toujours en chasse
Si le NISS est moins visible sur le terrain, il reste très actif en ligne. Selon plusieurs journalistes interrogés par RSF, la “Cyber Jihadists Unit”, une armée de trolls créée dans la foulée des printemps arabes pour contrôler l’information en ligne, continue d'infiltrer des groupes de discussion WhatsApp et de répandre de fausses informations contre le gouvernement de transition sur les réseaux sociaux. Propagande, surveillance et censure font toujours partie des méthodes utilisées par les services secrets soudanais.
Quant aux forces de soutien rapide (RSF), un groupe paramilitaire accusé d’être à l’origine du massacre de manifestants qui a fait au moins 128 morts et plusieurs blessés parmi les journalistes le trois juin dernier, elles ont entamé des poursuites contre Hanadi Al Siddig, journaliste pour le quotidien Al Jareeda, l’un des plus visés par l’ancien régime. Elles ont également acheté le quotidien Al Shaia.
Sur le plan juridique, aucune des lois répressives n’a fait l’objet d’une réforme. La loi sur la cybercriminalité (2007) celle sur la presse (2009), ou encore celle sur la sécurité nationale (2010) sont toujours en vigueur et continuent de faire peser de graves menaces sur l’exercice du journalisme dans le pays.
Le Soudan occupe la 175e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.