Détournement de l’avion de RyanAir par le Bélarus : RSF transmet de nouveaux éléments au procureur lituanien suite à sa plainte
Reporters sans frontières (RSF) a transmis de nouveaux éléments au procureur lituanien, suite à la plainte déposée en mai pour “détournement avec intention terroriste”. RSF lui soumet formellement les trois confessions forcées du journaliste Raman Pratassevitch diffusées par les médias biélorusses, qui confirment l’intention terroriste.
RSF a envoyé le 1er juillet au parquet de Vilnius des éléments additionnels venant compléter la plainte contre le président biélorusse déposée le 25 mai en Lituanie pour “détournement d’avion avec intention terroriste”. Ces éléments détaillent les trois confessions forcées dont a fait l’objet le journaliste Raman Pratassevitch à la suite de son arrestation, après l'atterrissage forcé de son avion à Minsk. RSF demande au procureur d’utiliser ces confessions, diffusées par la télévision du Bélarus, comme éléments de preuve dans son enquête ouverte sur la plainte de l’organisation. Ces confessions démontrent en effet que l’intention des autorités, avec ce détournement d’avion et l’arrestation du journaliste qu’il a rendu possible, était bien de terroriser la population biélorusse, en particulier les journalistes indépendants, en leur montrant non seulement qu’ils peuvent être arrêtés n’importe où et être emprisonnés arbitrairement, mais aussi qu’ils peuvent être contraints publiquement à de fausses confessions et à se renier publiquement, et que le régime ne reculera devant aucun moyen pour arrêter toute personne qui le critique.
A trois reprises depuis le détournement de l’avion de Raman Pratassevitch et son arrestation à Minsk, les autorités biélorusses ont diffusé des confessions filmées du journaliste dans les médias et sur internet : le lendemain de son arrestation, le 24 mai, sur la chaîne d’Etat du Bélarus ONT; le 3 juin, dans une interview d’une heure et demie diffusée en prime time par la même chaîne et enfin le 21 juin, le journaliste a participé à une conférence de presse organisée au ministère des Affaires étrangères, aux côtés de haut-fonctionnaires biélorusses.
A chaque fois, le journaliste a expliqué qu’il s’exprimait de sa propre volonté, qu’il était bien traité, et plaidait coupable des accusations portées contre lui par les autorités biélorusses. Il reconnaissait notamment avoir tenté de renverser le président Loukachenko, et a même fait l'éloge de celui-ci, disant "comprendre qu'il faisait ce qu'il fallait", avoir "un respect inconditionnel pour lui" et que Loukachenko avait "des couilles d'acier".
Des éléments sérieux et concordants font cependant douter de la sincérité de ces déclarations. Ils accréditent au contraire leur caractère contraint et leur finalité : le journaliste est entre les mains et à la merci des autorités biélorusses, il risque des peines très lourdes et est sous la menace d'une extradition vers les séparatistes de la région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, soutenus par la Russie (qui ont ouvert une procédure pénale contre lui pour sa participation présumée aux hostilités). Sa compagne est également détenue au Belarus. La propre famille du journaliste a déclaré publiquement ne pas croire à ces confessions publiques. Après la diffusion de l'interview le 3 juin, son père a déclaré à l'AFP : "Je connais très bien mon fils et je crois qu'il ne dirait jamais de telles choses. Ils l'ont brisé et l'ont forcé à dire ce qui était nécessaire". Il a ajouté que "personne ne devrait croire ces mots parce qu'ils ont été arrachés par la force à mon fils, par les abus et la torture".
Dans le courrier envoyé le 1er juillet au parquet lituanien pour compléter sa plainte, RSF explique que ces confessions doivent servir de preuve de l’intention terroriste des autorités biélorusses dans l’enquête ouverte par le parquet lituanien suite à la plainte de RSF.
Les confessions poursuivent en effet l’objectif d'intimidation du détournement, autant qu'elles le démontrent : il s'agit non seulement de discréditer les journalistes et plus largement l'opposition au régime mais aussi, et surtout, de les terroriser, en montrant ce qui peut arriver à quiconque critique ou agit contre les autorités de Minsk - être contraint à se renier et à s’accuser publiquement. Le caractère public et répété de ces aveux forcés, le fait qu'ils soient largement diffusés, la gravité de ces pratiques qualifiables de torture, montrent l'intention terroriste, celle d'instiller intentionnellement la terreur dans le public, et en particulier dans la communauté journalistique à l'intérieur et à l'extérieur du Bélarus.
Le Bélarus occupe la 158e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par RSF.