Azerbaïdjan : les fausses accusations de Bakou pour mieux censurer les journalistes
En quelques jours, trois journalistes ont été arrêtés et deux sites d’information de référence bloqués. Les autorités azerbaïdjanaises ont également durci un peu plus les dispositions légales encadrant l’expression en ligne. Reporters sans frontières (RSF) exhorte à nouveau Bakou à mettre un terme à la répression contre la liberté de la presse.
Autre lieu, même méthode : le 25 novembre, Teymour Kerimov, employé du site internet Kanal 13, a été interpellé dans la région de Barda, localité du centre du pays, au cours d’un reportage sur des problèmes d’approvisionnement en eau dans un village de réfugiés originaires du Haut-Karabagh. Un inconnu a pris à partie des personnes qu’il était en train d’interviewer, leur intimant l’ordre de « ne pas parler avec des journalistes opposants » et de « ne pas critiquer le gouvernement », avant de se mettre à insulter et bousculer Teymour Kerimov. Conduit au commissariat, le journaliste a été confronté au même homme, qui l’a accusé de l’avoir insulté et frappé. Une version corroborée par des fonctionnaires locaux interrogés. Teymour Kerimov n’a été relâché qu’après dix heures de garde à vue, délesté de ses interviews. Il affirme qu’une enquête pénale a été ouverte contre lui pour « agression ».
Le 28 novembre, c’était au tour de Zamin Gadji, journaliste d’opposition du journal Yeni Musavat, d’être convoqué au commissariat, à Bakou, à la suite d’une publication sur sa page Facebook. Le journaliste s’y plaignait publiquement de l’impunité “des meurtres de l’historien Ziya Bunyadov (tué en 1996), du général de l'armée de l'air Raïl Rzaev (tué en 2009), du journaliste Elmar Huseïnov (tué en 2005) et de l’écrivain Rafig Tagi (tué en 2011)”. “Comment peut-on parler de stabilité gouvernementale dans ce pays si les crimes restent impunis ?” interrogeait le journaliste. Les policiers lui ont reproché de “jeter une ombre sur la stabilité sociale et politique du pays“ et lui ont demandé d’effacer sa publication, ce que Zamin Gadji a refusé. Il a été relâché au bout de quelques heures.
Les accusations d’agression montées de toutes pièces comptent parmi les techniques fréquemment utilisées pour jeter en prison des journalistes critiques en Azerbaïdjan. Seymour Khazi, employé du quotidien Azadlig et de l’émission “Azerbaycan Saati”, est emprisonné depuis août 2014 sur des accusations similaires. Le directeur de ces deux médias, Ganimat Zahid, a été incarcéré pendant plus de deux ans et demi, entre 2007 et 2010, pour avoir soi-disant agressé une femme.
“Les autorités azerbaïdjanaises sont si confiantes qu’elles ne prennent même pas la peine de renouveler leurs modes de pression, note Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Nous condamnons le harcèlement d’Afgan Sadykhov, Teymour Kerimov et Zamin Gadji, dernières victimes en date de cette répression ininterrompue. La communauté internationale doit enfin mettre un terme à l’impunité du régime de Bakou et lui demander de répondre de ses violations systématiques de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.”
Internet toujours plus étroitement contrôlé
L’accès aux sites de Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) et de Voice of America (VoA) est resté bloqué du 28 novembre au 2 décembre, jour marqué par une rencontre entre Ilham Aliev et un officiel américain. Ces sites de référence figuraient parmi les dernières sources d’information critiques du régime encore accessibles dans le pays. RFE/RL et VoA avaient déjà été expulsés des ondes radio en 2009. Les bureaux de RFE/RL à Bakou ont été fermés manu militari en 2014 et une enquête pénale a été ouverte contre ses collaborateurs.
Le 29 novembre, deux amendements, renforçant à nouveau les peines encourues en cas de diffamation et d’insulte sur Internet, ont été adoptés par le Parlement. Désormais, l’emploi de pseudonymes sera considéré comme une circonstance aggravante et les personnes reconnues coupables pourront être punies d’une amende de 1000 à 1500 manat (soit de 540 à 810 euros – le salaire minimum s’élevant à 130 euros), de 360 à 380 heures de travaux d’intérêt général, d’un prélèvement d’un pourcentage du salaire durant un ou deux ans de prison. S’il s’agit d’une offense envers le président de la République, la peine de prison maximale prévue est de trois ans.
L’Azerbaïdjan occupe la 163ème place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2016. Le président de la République, Ilham Aliyev, fait partie de la liste des prédateurs de la liberté de la presse.