"Vivre dangereusement sur le Net"
Les centaines de forums de discussion sont surveillés nuit et jour par des milliers d'employés et de policiers chargés de nettoyer l'Internet chinois des messages subversifs, vulgaires ou pornographiques. Des dizaines d'internautes, notamment Liu Di (photo), ont été arrêtés pour avoir critiqué le gouvernement sur les forums. Reporters sans frontières a enquêté sur ces forums chinois, tout à la fois "espaces d'expression et pièges à internautes".
Les principaux sites d'information disposent de forums de discussion très fréquentés qui se veulent des "espaces d'expression libre". Dans la journée, et jusque tard le soir, des dizaines de milliers d'internautes chinois se connectent à ces forums aux sujets les plus divers (actualité internationale et nationale ou rencontres). Chater sur le forum est une pratique très commune pour les quarante-cinq millions de Chinois supposés être connectés à la Toile. Ainsi, le 4 avril, plus de neuf cent mille messages ont été mis en ligne sur xinhuanet.com, le seul forum consacré à la guerre en Irak. De son côté, un porte-parole de sina.com.cn a affirmé à Reporters sans frontières que les deux cents forums du site attirent chaque jour plus de quatre millions d'internautes. Les forums de discussion chinois utilisent un système de filtres qui leur permet de trier les messages en deux catégories : ceux qui contiennent des mots interdits et les autres. Les premiers sont systématiquement détournés. Ils n'apparaissent pas sur le forum même si, de manière automatique, le gestionnaire du forum vous a annoncé : "Votre message a été accepté, mais il va être révisé par notre équipe. Quelques instants vont donc être nécessaires avant que votre message puisse être vu par les autres internautes" (message du site xinhuanet.com). Ces messages censurés sont censés être révisés par les webmasters des sites pour vérifier si leur contenu mérite réellement qu'ils soient interdits aux internautes. Mais il est rare qu'un message "filtré" soit ensuite remis manuellement sur le forum. "Nous avons rarement le temps de le faire", nous a expliqué un responsable des forums de discussion de sina.com.cn. On trouve néanmoins des messages "politiquement corrects", qui critiquent par exemple le mouvement spirituel Falungong, sur des forums de discussion, alors que ce mot est filtré. Le 11 mars, un message contenant une liste approximative des mots censurés apparaît sur le forum de discussion de sina.com.cn. L'internaute a, bien entendu, pris la précaution de couper chacun des mots par un astérisque pour que la liste ne soit pas bloquée par les filtres. On y trouve "4 juin" (date du massacre de la place Tiananmen en 1989), "droits de l'homme", "indépendance de Taïwan", "pornographie", "sexe oral", "BBC" ou "Falungong". Le message a été retiré au bout de quelques minutes. Résultats de messages envoyés démontrant l'existence de filtres |Date et heure GMT |Contenu du message |Site Internet |Mis en ligne O/N |Durée de vie | |20 mars à 12 heures |Lettre à Hu Jintao sur fermeture magazine |sina.com.cn |Non | | |20 mars à 13 heures |Lettre à Liu Yunshan (chef propagande) sur fermeture magazine |sina.com.cn |Oui |1 minute | Les messages qui ne contiennent pas de mots interdits sont donc mis en ligne sur le forum. Ils apparaissent à la vue de tous les internautes connectés. Mais un groupe de "Ban Zhu" (webmaster du forum) sont chargés de vérifier leur contenu. En permanence, deux ou trois webmasters scrutent et animent en même temps les forums. Ils ne sont pas des policiers ou même des employés chargés d'épurer les sites. Il s'agit principalement de jeunes, parfois étudiants, et plus souvent volontaires, qui donnent de leur temps aux forums de discussion. Pourtant, ils gardent tout pouvoir de nettoyer les forums des messages jugés indésirables. Au-dessus des "Ban Zhu", on trouve des "Guan Li Yuan" (administrateur de forum) qui ont la responsabilité de garantir la bonne tenue des forums. Ils ont également le pouvoir de suspendre ou d'interdire les internautes jugés vulgaires ou politiquement incorrects. Un responsable de sina.com.cn nous a affirmé qu'il préfère d'abord avertir l'internaute avec un message électronique. Si son comportement ne s'améliore pas, il est suspendu une semaine. Dernier échelon de cette chaîne de contrôle : les services de surveillance d'Internet établis au sein des départements provinciaux de la sécurité publique. Il est très difficile d'obtenir des informations officielles sur le nombre de fonctionnaires, policiers ou informaticiens, employés par cette cyberpolice. 70 % des messages polémiques censurés
Plus de 60 % de tous les messages envoyés lors de cette enquête, ont été mis en ligne sur les forums de discussion. Ce pourcentage chute à 55 % quand il s'agit de messages au contenu polémique. Sur ces 55 %, plus de la moitié ont été retirés par les webmasters chargés de surveiller les sites. En résumé, seulement 30 % des messages polémiques ont été acceptés par les sites. La rigueur du contrôle des messages est variable suivant les sites Internet. Sur xinhuanet.com qui dépend de l'agence de presse officielle, les messages n'apparaissent qu'après quelques minutes. Ce qui laisse théoriquement le temps aux webmasters de réaliser un contrôle en temps réel des messages mis en ligne. Aucun des messages critiques contre le gouvernement n'a atteint les pages du forum de xinhuanet.com, tandis que 50 % de ces messages sensibles sont apparus sur les pages de sina.com.cn. Sur le forum consacré aux médias et à l'actualité de sina.com, les animateurs du forum peuvent même inciter au débat sur des sujets pourtant sensibles. Ainsi, le 14 mars, c'est un "Ban Zhu" du site qui poste un texte sur la fermeture temporaire d'un magazine libéral de Canton. Pour tester cette différence, le chercheur poste, le 26 mars, un message sur la couverture de la guerre en Irak par les médias chinois, dans lequel il s'interroge sur la possibilité qui serait donnée aux journalistes chinois de couvrir aussi librement un grand événement en Chine. Le message apparaît sur yahoo, sohu et sina, mais il est rejeté par xinhuanet. Les sites Internet les plus ouverts sont des entreprises commerciales. La concurrence dans ce secteur incite leurs dirigeants à pousser les limites de la censure. Pour attirer la jeunesse (40 % des internautes chinois ont moins de 24 ans, selon l'Institut Nielson/Net Ratings), il faut être moderne et laisser s'exprimer des positions libérales. On trouve ainsi sur les forums du site 163.net et sina.com, des webmasters qui incitent les internautes à débattre ouvertement. En revanche, les échanges sur les sites des grands médias officiels, notamment le Quotidien des nouvelles de Pékin (bjd.com.cn) ou de l'agence Chine nouvelle (xinhuanet.com), sont plus feutrés et aucune critique directe n'apparaît. Sujets sensibles interdits
Afin de conduire cette enquête, Reporters sans frontières a établi un barème du degré de "subversion" des messages mis en ligne sur les forums. Les messages de degré 1, qui ne contiennent aucune critique du gouvernement, passent sans difficulté le filtre puis s'inscrivent sur le forum. En revanche, les messages de degré 10, qui incluent des critiques ou des revendications directes adressées aux autorités de Pékin, ont une durée de vie nulle ou très limitée sur les forums. Les textes de degré 7 et 8 touchent des sujets politiques sensibles, mais ne contiennent pas de critiques directes. Plus de 70 % de ces messages passent les filtres, et leur durée de vie est nettement plus longue. Les degrés 5 et 6 couvrent des messages factuels sur des sujets d'actualité. Près de 80 % d'entre eux apparaissent sans aucune difficulté sur les forums. Seuls les filtres du site xinhuanet.com bloquent plus de 50 % de ces messages. Le 10 mars, le chercheur réussit à poster un message de degré 10 sur le forum Chuan Mei Lun Tan (Forum des médias) de sina.com.cn. Le texte demande explicitement la libération de la jeune internaute Liu Di et critique le système judiciaire. Il passe le filtre car il ne contient pas de mot interdit, et restera en ligne 2 heures 20. Plus de soixante-dix internautes auront eu le temps de le lire. L'étude a montré que les webmasters censurent en priorité les messages qui critiquent le gouvernement. Le 14 mars, le chercheur met en ligne sur sina.com.cn un texte court sur l'interdiction du magazine Ershiyi Shiji Huanqiu Baodao (Le Messager mondial du XXIe siècle) pour avoir publié une interview d'un vieux dirigeant réformiste. Il apparaît sur le forum. Quelques minutes plus tard, un message critiquant cette interdiction est rejetée par le même forum. Dans la foulée, un nouveau texte demandant la levée de la sanction est envoyé vers sina.com.cn. Le message apparaît, mais il est retiré quelques minutes plus tard. Les forums de discussion laissent donc les internautes publier des informations sur certains sujets sensibles, mais ne tolèrent aucune critique des décisions du Parti communiste. Le 17 mars, le chercheur envoie sur le forum de sina.com.cn un message intitulé "La direction a changé, sauf une personne" qui s'interroge sur le maintien à la tête de la Commission centrale de l'armée de l'ancien président Jiang Zemin. Le texte apparaît pendant quarante minutes. Le même message a une durée de vie encore plus courte sur tom.com. De même, un court message donnant l'adresse Internet de la station internationale Radio Free Asia reste en ligne pendant une heure, alors que la radio est brouillée en permanence par les autorités chinoises et que son site Internet est bloqué. Suivi de messages mis en ligne sur les forums de discussion |Date et heure GMT |Contenu du message |Site Internet |Mis en ligne O/N |Durée de vie | |3 mars à 12 heures |Demande d'élections libres |Sina.com.cn |Oui |14 minutes | |4 mars à 14 heures |Manque de débat en Chine sur la guerre en Irak |Forum Irak de Sina.com.cn |Oui |1 heure 40 | |10 mars à 14 heures |Inquiétude pour Liu Di |Xinhuanet.com |Non | | |10 mars à 14 heures |Inquiétude pour Liu Di |Sina.com.cn |Oui |2 heures 20 | |11 mars à 11 heures |Libérer Huang Qi |Sina.com.cn |Oui |40 minutes | |11 mars à 15 heures |Critique du système judiciaire |BJYD |Oui |Pas enlevé | |12 mars à 12 heures |Problème justice en Chine |Xinhuanet.com |Oui |Pas enlevé | |14 mars à 13 heures |Lever de l'interdiction d'un magazine |Sina.com.cn |Oui |Moins de deux minutes | |14 mars à 15 heures |Interview du leader réformateur Li Rui |Sina.com.cn |Non | | |17 mars à 11 heures |Appel pour de nouveaux leaders |Xinhuanet.com |Non | | |17 mars à 15 heures |Jiang Zemin est toujours au pouvoir |Tom.com |Oui |37 minutes | |17 mars à 15 heures |Jiang Zemin est toujours au pouvoir |Sina.com.cn |Oui |49 minutes | |17 mars à 17 heures |Débat sur la guerre en Irak |Sina.com.cn |Oui |9 minutes | |18 mars à 14 heures |Adresse du site de Radio Free Asia |Sina.com.cn |Oui |1 heure | |20 mars à 12 heures |Lettre à Hu Jintao sur interdiction magazine |Sina.com.cn |Non | | |20 mars à 13 heures |Lettre à Liu Yunshan sur interdiction magazine |Sina.com.cn |Oui |1 minute | |10 avril à 16 heures |"Pneumopathie, à qui la faute ?" |Sina.com.cn |Non | | Libertés limitées pour les commentaires sur la guerre en Irak et sur la pneumopathie atypique
Pour la première fois dans l'histoire des médias publics chinois, le déclenchement d'un conflit international a été couvert en direct. Mais les commentaires des journalistes ont reflété la position du gouvernement, opposé à la guerre. Les principaux sites Internet d'information chinois diffusent de leur côté un grand nombre de dépêches, notamment de l'agence officielle Xinhua. Les forums de discussion sont remplis de centaines de milliers de commentaires, en majorité hostiles aux Etats-Unis. En revanche, les commentaires critiques de la position chinoise sont bloqués ou enlevés. Le 17 mars, l'un des messages de Reporters sans frontières est retiré d'un forum de sina.com pour avoir mis en cause la manière dont les médias couvrent la guerre. L'épidémie de pneumopathie atypique est également un sujet censuré. Le gouvernement tente à tout prix d'empêcher l'émergence dans les médias, et notamment Internet, d'informations indépendantes. Les critiques de la gestion de la crise par le gouvernement dirigé par Wen Jiabao sont également mal vues sur les sites. Le 10 avril, le chercheur envoie un message contenant le mot "pneumopathie" sur un forum de sina.com.cn, dans lequel il demande simplement au gouvernement chinois de travailler main dans la main avec Hong Kong pour juguler l'épidémie. Le message n'apparaît pas. Cinq jours plus tard, un nouveau message concernant la pneumopathie atypique est envoyé sur ce site. Même échec. Les autorités semblent bien avoir demandé aux sites d'ajouter le terme "pneumopathie atypique" à la longue liste des mots interdits. Aucune critique n'est donc visible sur les forums les plus fréquentés. En revanche, la vision des autorités se résumant jusqu'au 18 avril à "Grâce au dur travail des autorités sanitaires, la maladie est sous contrôle" est relayée par des internautes vraisemblablement aux ordres. Un message daté du 10 avril accuse successivement Hong Kong, les journaux libéraux de Canton et les médias étrangers de diffuser des rumeurs sur la pneumopathie atypique. Début avril, des responsables de sites Internet confirment aux journalistes étrangers que le gouvernement a donné des ordres pour que le sujet de la pneumopathie soit traité avec une extrême précaution. Zhang Zhongying du site du Quotidien du Peuple déclare à l'Agence France-Presse que des "règles" ont été imposées. Un cadre du site commercial sohu.com explique de son côté que les "messages positifs peuvent être mis en ligne, mais pas ceux qui sont négatifs". Internautes blacklistés
Le 12 mars, le chercheur de Reporters sans frontières est interdit sur tous les forums de discussion du site sina.com après avoir envoyé un message demandant la libération du webmaster Huang Qi. Le message intitulé "Libérer Huang Qi" ne contient aucun mot filtré, il passe donc la première barrière. Il apparaît ensuite pendant quarante minutes sur le forum de sina.com.cn. Quarante internautes ont même pu le lire. Mais au bout de ces quarante minutes, il est enlevé par le webmaster et l'adresse utilisée par Reporters sans frontières est blacklistée. L'internaute est prévenu de la sorte : "Votre numéro d'identification n'est pas valide, réessayez." Cette pratique d'interdiction est confirmée lors d'un entretien avec un responsable de sina.com.cn. Bien entendu, le chercheur de Reporters sans frontières étant basé à l'étranger, la police n'a sûrement pas engagé une enquête pour tenter d'identifier l'internaute. Quoi qu'il en soit, il reste possible pour un internaute basé en Chine ou à l'étranger de s'inscrire sur un forum de discussion sous une fausse identité. Les sites demandent le nom, le sexe, l'adresse électronique, les numéros de téléphone et le numéro d'un document d'identité. Certains internautes dénoncent ouvertement la censure et les sanctions. On voit apparaître régulièrement des messages du type : "Cher webmaster, pourquoi as-tu censuré ou enlevé mon message ?" Ces preuves gênantes d'une censure permanente sont, elles aussi, retirées au bout de quelques minutes. Les forums de discussion : des pièges à internautes
En avril 2003, l'agence officielle China News Service annonce sur son site Internet qu'une internaute de 17 ans, identifiée sous le prénom de Zheng, a été arrêtée, le 27 mars, pour avoir mis en ligne des "messages nuisibles", dont l'agence n'a pas précisé la nature, sur des forums de discussion Internet. La jeune femme était activement recherchée depuis décembre 2002, date à laquelle elle avait commencé à publier des messages sous le pseudonyme "Sini" (la fille) des "messages contraires à la loi". Zheng a été identifiée par la police de la province de Jiangxi (sud du pays), qui a rapporté aux services de sécurité de Xinmi (province du Henan) sa présence dans la ville. L'internaute a été arrêtée alors qu'elle surfait sur la Toile dans un café Internet de la ville. Déjà au printemps 2001, Liu Weifang, commerçant, avait été condamné par un tribunal de la province de Xinjiang (Nord-Ouest), à trois ans de prison pour "subversion". Il était accusé d'avoir publié sur des forums de discussion, en 2000 et 2001, plusieurs articles très critiques envers le Parti communiste chinois et les réformes économiques entreprises par le gouvernement. Malgré l'utilisation d'un pseudonyme, Lgwf, la police était parvenue à l'identifier. Quelques mois plus tard, le dissident Wang Jinbo est condamné à quatre ans de prison pour avoir mis en ligne sur un forum un message demandant au gouvernement de réviser sa position sur le mouvement des étudiants de juin 1989. Le 7 novembre 2002, à la veille de l'inauguration du seizième Congrès du Parti communiste chinois, Liu Di, étudiante âgée de 22 ans, a été arrêtée sur le campus de l'université de Pékin. Sa famille n'a été informée de son arrestation que lorsque la police est venue procéder à une fouille de son domicile, saisissant ses notes, ses livres et son ordinateur. Le père de Liu Di a expliqué à Reporters sans frontières ne pas comprendre pourquoi sa fille, qui signait ses messages sur les forums de discussion "La souris inoxydable", a été emprisonnée. "Elle adorait surfer sur Internet pour chercher des informations. Mais elle était frustrée par le manque de liberté sur Internet et elle a peut-être exprimé des critiques ou des sarcasmes, mais sans jamais penser aux conséquences de ces messages", a-t-il expliqué. Sa famille n'a toujours pas été autorisée à la voir. Les autorités l'accusent d'avoir "mis en danger la sécurité nationale" et affirment vouloir faire "pression" sur elle en la détenant au secret. Le gouvernement ne se cache plus d'avoir mis en place sur tout le territoire de la Chine une cyberpolice capable de repérer les internautes déviants, de les identifier et de les arrêter. Ces "chasses aux internautes", mobilisant souvent des dizaines d'agents des ministères de la Sécurité publique et de la Sécurité d'Etat, sont autant de mises en garde adressées aux internautes récalcitrants et aux dissidents qui continuent à utiliser la Toile. Pour être en mesure d'appliquer ces menaces, le gouvernement de Pékin a promulgué une soixantaine de lois et de règlements sur l'utilisation d'Internet. Tout internaute qui s'inscrit dans un forum de discussion se voir avertir très clairement qu'il risque de lourdes peines. La Cour suprême précise, en janvier 2001, les sanctions prévues en cas de violation des lois sur les secrets d'Etat et la diffusion d'informations qui mettent en danger l'Etat : la peine de mort… Toutes ces décisions s'inscrivent dans le cadre d'un programme d'Etat, intitulé "Bouclier doré", qui a remplacé à la fin des années 1990 le projet de "Grande muraille électronique" rendu caduc par le développement exponentiel d'Internet. Ce projet très secret a été proposé par le ministère de la Sécurité publique et le ministère de l'Industrie de l'information. Des moyens financiers et humains importants - près de trente mille personnes - ont été mobilisés. En avril 2002, le ministre de la Sécurité publique de l'époque, Jia Chunwang, a convoqué à Pékin une réunion de travail sur la sécurité et la protection des informations d'Etat. Les discussions ont porté sur les moyens de combattre les délits commis sur Internet, particulièrement les délits à caractère subversif. Selon des témoins présents à la réunion, le ministre aurait affirmé que "les organes de surveillance sur Internet sont devenus des outils indispensables à la sécurité nationale, à la stabilité politique et à notre souveraineté". Les autorités ont accéléré le recrutement de spécialistes chargés de combattre les "forces étrangères" qui tentent de "subvertir la Chine par Internet". La Chine est le pays du monde où le plus grand nombre de personnes sont emprisonnées pour avoir exprimé leurs opinions sur Internet, au moins 36 selon nos informations. Qu'il s'agisse de dissidents connus de la police ou de simples internautes surpris par la cyberpolice en flagrant délit, ils sont pour la plupart tombés dans le piège des forums de discussion. La technologie au service de la répression
En plus des filtres installés sur les ordinateurs des forums de discussion et des firewalls qui empêchent l'accès à des milliers de sites Internet basés à l'étranger, les autorités chinoises ont impulsé l'acquisition et le développement de nouvelles technologies de censure. Fin décembre 2002, le Département de la sécurité publique de la province de Guangdong (sud de la Chine) organise un Salon sur le développement d'Internet et la sécurité du réseau qui vise à évaluer l'influence d'Internet sur la "stabilité et l'ordre public". Les responsables y affirment haut et fort qu'il faut "contrôler de façon stricte le réseau" et que "les internautes doivent assumer leur responsabilité dans la diffusion des informations dangereuses". En 2002, les autorités ont pris une série de mesures obligeant les opérateurs Internet (sites, cafés Internet, fournisseurs d'accès, etc.) à se transformer en auxiliaires de police. En juin, les propriétaires des cybercafés ont dû installer dans tous les ordinateurs des logiciels capables de bloquer jusqu'à 500 000 sites et de "dénoncer" à la police la consultation des sites subversifs. Il pourrait s'agir du logiciel "Filter King" conçu par les Chinois d'après une technologie vendue par des entreprises occidentales. En septembre, des internautes chinois constatent la mise en place de nouveaux "logiciels renifleurs" qui bloquent l'accès à certaines pages des sites consultés. Ainsi, les articles sur la Chine - notamment sur la question du Tibet, de Taïwan ou des droits de l'homme - des sites des journaux étrangers sont bloqués. Les autres pages restent accessibles. Cette censure sélective s'applique également à certains e-mails envoyés à partir de messageries telles que Hotmail, ou aux moteurs de recherche tels que Google.com. En octobre, la division des crimes informatiques de la province du Jiangxi (sud est du pays) ordonne aux cafés Internet de la province de vendre des cartes d'accès à leurs clients. Ces cartes doivent permettre à la police de vérifier les sites consultés par les internautes. Une expérience qui pourrait se répéter dans d'autres provinces. Les autorités chinoises tentent depuis plusieurs années de contrer la suprématie des entreprises Internet occidentales, en développant des technologies susceptibles de répondre aux exigences politiques du régime. Ainsi, le moteur de recherche Google a posé beaucoup de problèmes aux autorités puisqu'il donne accès à de nombreux sites subversifs. Le régime de Pékin a choisi la manière forte en interdisant, en août 2002, l'accès au moteur de recherche. Devant la levée de boucliers en Chine et à l'étranger, les autorités ont alors réalisé un blocage sélectif sur Google. Certains liens identifiés par le moteur sont inaccessibles. Nouvelle étape, l'organisme officiel Centre chinois de l'information Internet et l'entreprise chinoise Sinobet ont développé Chinasearch.com, un moteur de recherche conforme aux critères chinois. En avril 2003, le site sina.com.cn a décidé d'adopter ce moteur qui élimine de ses choix les sites jugés subversifs ou pornographiques. Selon le gouvernement, deux cents autres sites chinois ont fait le même choix. De toute évidence, cette utilisation des nouvelles technologies dans la répression de la cyberdissidence n'aurait pas été possible sans le soutien de compagnies occidentales telles que Websense, Sun Microsystems, Cisco Systems, Microsoft ou Notel Networks qui ont, à un moment donné, commercé ou collaboré avec l'appareil étatique chinois. Conclusions
Moins de huit ans après le début de l'Internet commercial chinois, l'Etat a réussi à mettre en place un système sophistiqué de contrôle de l'Internet. La cyberpolice, qui regroupe plusieurs dizaines de milliers d'hommes, est capable aux quatre coins du pays d'arrêter un internaute qui aurait à plusieurs reprises envoyé des messages jugés "subversifs" ou pouvant mettre en "péril la sécurité d'Etat". Les forums de discussion, présentés par les dirigeants des sites qui les accueillent comme des espaces de liberté, sont également l'objet d'une surveillance permanente. Le gouvernement a contraint ces sites à installer des systèmes de filtres qui censurent l'accès aux messages contenant des mots interdits. Cette liste n'a jamais été rendue publique, mais elle englobe des dizaines de mots qui font référence à la politique, à la religion ou à la pornographie. Zhen Ya (répression) ou Fa Lun Gong (Falungong) sont inscrits sur cette liste. Celle-ci est réactualisée régulièrement puisque le mot "pneumopathie" a été banni des forums courant mars 2003. De fait, les sites Internet, notamment ceux dirigés ou financés par des entreprises occidentales, en premier lieu Yahoo !, sont devenus des auxiliaires de la police chinoise. Après avoir accepté d'autocensurer leur contenu, ils ne se sont pas opposés à l'installation de mouchards dans leurs machines qui permettent à la cyberpolice d'identifier les internautes récalcitrants. Les cybercafés chinois ("wang ba" en mandarin) ont également dû se plier aux exigences des services de sécurité, pour être autorisés à rouvrir après la grande campagne nationale de vérification lancée en 2002. Les forums de discussion, qui rassemblent chaque jour des centaines de milliers d'internautes chinois, sont dans le même temps un espace d'expression qui n'a d'égal dans aucun autre média et un piège pour les internautes.