Violences policières contre les journalistes dans les manifestations : enfin un procès !
Le 21 février 2023 s’ouvre à Toulouse le procès du policier présumé être l’auteur des blessures infligées au journaliste Kevin Figuier dans une manifestation des “gilets jaunes” en avril 2019. Partie civile dans cette affaire, Reporters sans frontières (RSF), qui a déposé vingt et une plaintes pour violences policières ces trois dernières années, se félicite de la tenue de ce premier procès mais regrette les lenteurs ou échecs de la justice dans les autres procédures.
Mise à jour du 21 février : Le policier auteur des violences contre le journaliste Kevin Figuier a été condamné le 21 février par le tribunal correctionnel de Toulouse à une amende de 2 000 € avec sursis et au versement de 800 € de dommages et intérêts au profit du journaliste. Le tribunal a jugé recevable la constitution de partie civile de RSF reconnaissant ainsi l’atteinte aux intérêts collectifs de la profession de journaliste dans cette affaire. Sur les 21 plaintes pour violences policières déposées par RSF depuis décembre 2019, cette affaire est la première à aboutir à une condamnation.
Mardi 21 février, près de trois ans après la plainte déposée avec RSF en décembre 2019 et après deux reports, le journaliste Kevin Figuier verra enfin la justice passer, pour les violences qu’il a subies dans une manifestation des “gilets jaunes”.
“Reporters sans frontières se félicite qu’un procès se tienne enfin, le premier dans les nombreux cas de violences policières sur les journalistes pour lesquels nous avons déposé plainte depuis trois ans. Un seul procès à ce jour, dans les 21 cas dont nous avons saisi la justice : cette situation ne peut que souligner les difficultés rencontrées pour obtenir justice.
Une grenade de désencerclement qui blesse le journaliste, lancée en violation du cadre légal
Le 20 avril 2019, Kevin Figuier, photojournaliste et rédacteur indépendant expérimenté – qui publie régulièrment ses reportages sur l’actualité française depuis près de 10 ans dans des médias tels que France 3 Occitanie, Le Parisien, l’Express, l’Humanité, Libération, ou La Croix –, couvre un rassemblement des “gilets jaunes” à Toulouse. Équipé d’un casque marqué “presse”, et évoluant parmi d’autres confrères, à l’écart des manifestants, il est clairement identifiable en tant que journaliste.
Aux alentours de 17h, des agents d’une compagnie départementale d’intervention (CDI) de la police chargent une vingtaine de “gilets jaunes”. Un policier – celui qui sera jugé le 21 février – lance au-dessus de ses collègues, en cloche, une grenade à main de désencerclement (GMD) qui explose aux pieds de Kevin Figuier, lui causant des blessures au dos et à la jambe. D’abord pris en charge par les “street medics”, le journaliste fera constater deux jours plus tard ses blessures par les services des urgences et obtiendra un jour d'ITT (incapacité temporaire totale). En raison du traumatisme découlant de ces violences et blessures, il a fallu 8 mois à Kevin Figuier pour être capable de revenir sur le terrain couvrir des manifestations.
Le 22 avril 2019, Kevin Figuier effectue un signalement auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Puis, le 20 décembre 2019, avec RSF et aux côtés de 12 autres journalistes ayant subi des violences de la part des membres des forces de l’ordre dans des manifestations “gilets Jaunes”, il dépose plainte devant le procureur de la République de Paris, pour violence volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique.
Les conclusions déposées par l’avocat de Kevin Figuier et de RSF, Me Emmanuel Daoud, font état du comportement du policier, tel qu’il ressort des images des événements et des auditions de l’IGPN. Elles révèlent notamment l’usage “excessif et disproportionné” de son lanceur de balles de défenses (LBD) – dix tirs en quelques minutes, qui ont tous atteint des manifestants passifs ne présentant aucune menace.
Elles notent surtout que le lancer de la grenade qui a blessé le journaliste ne répondait en rien au cadre légal encadrant l’usage de telles armes, qui impose la nécessité et la proportionnalité, et qui prohibe le lancer en cloche. Les avocats de RSF soulignent que le recours à cette grenade était “parfaitement injustifié, disproportionné et contraire au protocole d’utilisation.”
20 autres procédures ouvertes pour violences policières contre des journalistes : la justice doit avancer plus vite
Face à l’ampleur des violences policières commises sur des journalistes, depuis le début du mouvement des “gilets jaunes”, ce procès constitue en soi une avancée de la justice. Mais elle reste insuffisante. En effet, vingt autres journalistes victimes de violences de la part de membres des forces de l’ordre ont déposé plainte aux côtés de RSF depuis 2019. Si six d’entre eux ont vu leurs plaintes classées ou faire l’objet d’un non lieu – dans de nombreux cas, du fait d’investigations insuffisantes –, quatorze autres attendent toujours que l’enquête ou l’instruction avancent et aboutissent à des poursuites, alors même qu’il s’agit, pour certains, de faits plus graves ou plus anciens.
Le travail des forces de l’ordre sur la gestion des manifestations doit se poursuivre
Si la justice avance difficilement, les autorités et les forces de l’ordre ont fait de leur côté un véritable travail pour remettre à plat la gestion des manifestations, et notamment des journalistes lors de tels évènements.
Le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO), publié en décembre 2021, rappelle de façon claire aux policiers le cadre légal, et précise les droits des journalistes, dans les manifestations. Un groupe de contact a par ailleurs été mis en place pour permettre des discussions régulières entre représentants des forces de l’ordre et de la presse, rassemblant notamment des syndicats de journalistes et RSF.
RSF publiera prochainement un guide pratique pour les journalistes dans les manifestations, détaillant le contenu du SNMO, les droits spécifiques qu’il ouvre aux journalistes, et listant une série de conseils pratiques.