Violences contre la presse au Brésil : 5 cas qui ont marqué le pays
Reporters sans Frontières, dans le cadre de sa campagne “Certaines victoires ne méritent pas de médaille”, revient sur des cas récents de journalistes brésiliens tués parce qu’ils faisaient leur travail. L’occasion également de rappeler le rôle fondamental de la presse dans une démocratie encore jeune et un pays très marqué par la corruption et la violence.
Depuis les derniers Jeux Olympiques de 2012, 22 journalistes brésiliens ont été tués, faisant du pays le second plus meurtrier d’Amérique latine derrière le Mexique. Parmi ces 22 journalistes dont le travail a coûté la vie, RSF se penche sur plusieurs cas emblématiques qui ont marqué le pays et qui mettent en lumière, d’une part, la dangerosité et la diversité des situations dans lesquelles les journalistes, blogueurs, animateurs radio etc.. peuvent se retrouver au Brésil, et d’autre part l’urgence de trouver des solutions de protection et d’alerte efficaces. Leur mort ne doit pas tomber dans l’oubli, car leur histoire permet aussi de rappeler le rôle essentiel des journalistes, notamment celui des journalistes d’investigation et de ceux qui ont le courage de dénoncer la réalité qui les entourent, pour faire éclater la vérité au grand jour et faire avancer la lutte contre la corruption et le crime organisé.
Gleydson Carvalho (1982-2015)
Gleydson était animateur pour Radio Liberdade FM 90.3 à Camocim, dans l’Etat du Ceará. Le 6 août 2015 ,deux individus armés de pistolets ont fait irruption dans les studios de la radio. L’un d’entre eux a tiré à plusieurs reprises sur Gleydson pendant un interlude musical, au beau milieu de son émission. Les deux hommes ont ensuite pris la fuite sur une moto. Le journaliste est mort quelques minutes plus tard sur le trajet de l’hôpital. Depuis de nombreuses années, il dénonçait la corruption des hommes politiques de son État, et avait reçu plusieurs menaces de mort, qu’il avait signalées aux autorités.
Dans le cadre de l’enquête, Sept personnes ont été interpellées, dont l’oncle et le neveu du préfet de la ville voisine de Martinopole. Le commanditaire et les deux auteurs présumés du crime ont été arrêtés et placés en détention en attente d’un jugement.
Evany José Metzker (1948-2015)
Evany José Metzker, journaliste et fondateur du blog Coruja do Vale, a été retrouvé décapité dans une zone rurale près de aux alentours de Padre Paraiso, dans le nord-est de l’Etat de Minas Gerais, le 18 mai 2015. Il avait été porté disparu depuis le 13 mai – date de la dernière publication sur son blog. Selon le syndicat des journalistes professionnels de Minas Gerais, Evany José Metzker enquêtait depuis plusieurs mois sur les trafics de drogue et la prostitution infantile. Dans son blog, il avait également dénoncé à plusieurs reprises des affaires de corruption dans la région, pointant du doigt l’implication de fonctionnaires locaux.
La police civile de Minas Gerais en charge de l’enquête a déclaré qu’aucune piste, “politique” comme passionnelle, ne saurait être exclue. Jusqu’à aujourd’hui, aucun responsable ni suspect n’a été présenté devant la Justice.
Pedro Palma, (1967-2014)
Pedro Palma, directeur du journal Panorama Regional, a été froidement abattu devant sa propriété de Miguel Pedrera, dans la banlieue de Rio de Janeiro, le 13 février 2014. Son journal, essentiellement distribué en périphérie de la métropole, publiait des enquêtes sur des affaires de corruption impliquant des élus des municipalités de la région.
Quelques mois après sa mort, en février 2015, quatre membres d’un groupe criminel ont été arrêtés par la police dans le cadre d’une enquête pour fraude et usage de faux contrats en lien avec les préfectures du Sul Fluminense et de la Baixada Fluminense. Cette opération a permis de lancer 9 mandats d’arrêts dans la région, et a été rendue possible grâce au travail de Pedro Palma et à l’enquête qui a suivi son assassinat.
Santiago Ilídio Andrade (1964-2014)
Le 6 février 2014, alors qu’il couvrait pour la chaîne de télévision Bandeirantes un mouvement de protestation dans les rues de Rio de Janeiro contre une nouvelle hausse des tarifs des transports urbains, le journaliste Santiago Ilídio Andrade s’est retrouvé au cœur d’une altercation entre la police militaire et les manifestants. Le journaliste/cameraman a été touché à la tête par un tir d’explosif (feux d’artifices), porté par des manifestants présents sur place. Transporté à l’hôpital, il a succombé à ses blessures quelques jours plus tard. Les deux jeunes identifiés comme auteurs des tirs ont été initialement accusés d’homicide volontaire et placés en détention provisoire. Un an plus tard, la Justice a déclassifié le dossier et les deux individus ont été libérés dans l’attente d’un nouveau jugement.
Décio Sá (1965-2012)
Décio Sá était un journaliste et blogueur, abattu le 23 avril 2012 dans un bar de Sao Luis, dans l’État du Maranhão. Sá travaillait depuis 17 ans au bureau politique du journal régional O Estado do Maranhão, propriété du groupe Mirante de Comunicação. Il était également l’animateur du Blog do Décio, l’un des plus consultés de la région. Dans ses reportages, Décio abordait la politique, la corruption et le crime organisé. Avant sa mort, il avait identifié et dénoncé un réseau criminel qui prêtait illégalement de l’argent à des politiques pour financer des campagnes locales. Lorsque ceux-ci étaient élus, ils remboursaient leurs dettes sur les deniers publics. La mort de Décio a conduit à une enquête de la Police locale et nationale qui a permis de démanteler un réseau de corruption impliquant 41 préfectures, pour près de 100 millions de reais (plus de 31 millions de dollars) détournés. Les commanditaires et auteurs de l’assassinat de Décio ont été arrêtés et jugés.
Reporters sans Frontières souhaite relancer le débat sur l’absence d’un système national de protection efficace pour la profession (voir les recommandations détaillées), et appelle les autorités à se saisir concrètement et durablement de ce problème.
Le Brésil occupe la 104e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2016 de RSF.