Vague record de détentions arbitraires à l’ombre de la guerre Israël-Hamas : au moins 31 journalistes palestiniens dans les prisons israéliennes
Depuis le 7 octobre, Israël a multiplié les détentions de journalistes palestiniens : 38 journalistes palestiniens ont été arrêtés depuis cette date, 31 sont toujours en détention à ce jour. La plupart d'entre eux sont enfermés sans aucune charge. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces procédures liberticides qui visent à réduire au silence la presse palestinienne et demande la libération des reporters détenus ainsi que la protection de tous les journalistes.
La libération du journaliste Diaa al-Kahlout ce 9 janvier après plus d'un mois de détention ne saurait dissimuler l’ampleur des enfermements arbitraires de journalistes dans les geôles israéliennes. Au moins 31 autres journalistes arrêtés depuis le 7 octobre croupissent encore à ce jour, pour la plupart sans notification d’aucune charge, dans les prisons israéliennes. Parmi eux, 29 ont été arrêtés en Cisjordanie, un à Gaza et un à Jérusalem-Est. Cette vague d’arrestations et de détentions inédites, dans l’ombre de la guerre à Gaza, témoigne d’une volonté de réduire au silence la presse palestinienne. Tous ces journalistes arrêtés sont des professionnels de l’information indépendants ou travaillant pour des médias palestiniens tels que J-Media, Maan News Agency, Sanad, et Radio al-Karama.
Une répression massive en Cisjordanie
La grande majorité a été arrêtée en Cisjordanie, où RSF comptabilise 34 journalistes détenus depuis le 7 octobre, dont 5 seulement ont été relâchés depuis. Avant la guerre, ils étaient deux emprisonnés. Les journalistes enfermés ne peuvent recevoir aucune visite et la grande majorité est détenue dans des lieux tenus secrets en Israël. Selon les informations de RSF, au moins l’un d’entre eux serait à la prison de Megiddo au nord d’Israël.
Depuis le début de la guerre, Israël use des procédures de “détentions administratives” contre des journalistes : une procédure par laquelle une personne est détenue sans notification de charge, sous prétexte qu'elle aurait l'intention d'enfreindre la loi. À ce titre, les détenus peuvent être maintenus en prison jusqu'à six mois – une durée renouvelable sur simple ordre d'un juge israélien. Au moins 19 journalistes sont actuellement sous le coup de cette procédure. Les dix autres reporters sont en détention provisoire et font l’objet de charges fallacieuses d'”incitation à la violence”.
Parmi les journalistes libérés, certains restent assignés à résidence comme c’est le cas pour la journaliste indépendante Somaya Jawabra, libérée sous caution le 22 novembre, 17 jours après son arrestation. Sous surveillance pour une durée indéterminée, elle a interdiction d'utiliser Internet et de s'adresser à la presse.
“Au moins 31 reporters palestiniens sont toujours détenus dans les prisons israéliennes en raison de leur travail d’information. Ces intimidations, cette terreur, ces tentatives incessantes de réduire au silence le journalisme palestinien, que ce soit par des détentions arbitraires, des balles ou des bombes, doit cesser. RSF appelle à la libération immédiate de tous les journalistes détenus et à la protection urgente de tous les journalistes palestiniens.
À Gaza, le calvaire des journalistes arrêtés
Les journalistes détenus subissent, pour certains, des traitements cruels, inhumains ou dégradants, comme en témoigne l’arrestation de Diaa al-Kahlout, correspondant du site d’information Al-Araby Al-Jadeed. Ses proches l’ont identifié dans une vidéo divulguée le 7 décembre par un soldat de l’armée israélienne au nord de Gaza : le journaliste apparaît agenouillé dans la rue au milieu d'un groupe de détenus à moitié nus. Il a été arrêté quelques heures plus tôt par une patrouille israélienne, chez lui, à Beit Lahia. Sa maison a été incendiée. Ses deux frères arrêtés avec lui ont été relâchés. Le journaliste était détenu dans une base militaire israélienne près de Karam Abu Salem à la frontière sud avec l’Égypte, et a été victime de tortures selon les sources de RSF. Durant plus d’un mois de détention, les autorités israéliennes sont restées silencieuses quant au sort du journaliste, jusqu'à sa libération ce 9 janvier. La majorité des professionnels de l’information arrêtés sont ainsi détenus sans qu’aucune information ne soit communiquée à leurs proches sur leur sort et leur situation.
À ce jour, s’il reste un journaliste arrêté à Gaza détenu dans les prisons israéliennes, plusieurs reporters ont subi de violentes arrestations de moins de 48 heures. Le photojournaliste indépendant Said Kilani en a fait les frais. Il est l'un des rares reporters restés à Beit Lahia, travaillant comme correspondant pour des agences internationales telles qu’Associated Press et l’Agence France Presse (AFP). Le 13 décembre, alors que les forces israéliennes avançaient sur l'hôpital Kamal Adwan, le reporter qui couvrait les affrontements, est arrêté avec une équipe médicale. “Je savais que les journalistes étaient une cible de l’armée israélienne, j'avais peur. J’ai d’abord dissimulé mon casque et mon gilet presse.” Said Kilani est détenu pendant 14 heures dans une base militaire au nord de Gaza. “Nous avons été déshabillés, insultés, humiliés", raconte le reporter qui affirme avoir révélé dès le début de sa détention son identité de journaliste.
À sa libération, il a retrouvé sa femme et ses enfants, eux aussi arrêtés puis relâchés. Leur maison a été, pendant le laps de temps de leur enfermement, incendiée, et le matériel professionnel qu’il avait caché à l’hôpital a été brûlé. “Les soldats israéliens nous ont tout pris, raconte Said Kilani, joint par RSF. Nous sommes sans abri, dans le froid, sans nulle part où aller.” Cinq jours après sa détention, le fils du reporter âgé de seize ans a été tué par un sniper israélien sous les yeux de son père qui était à ses côtés.
Une tragédie d’ampleur
Au moins 80 journalistes ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre, dont 18 dans l'exercice de leur fonction selon les informations vérifiées par RSF. Plus de 50 bureaux de médias ont été complètement ou partiellement détruits par les frappes depuis le début de la guerre.