Une semaine après la plainte de RSF contre MBS, le silence radio total des médias saoudiens
Une semaine après le dépôt de plainte de Reporters sans frontières (RSF) contre le prince héritier Mohamed ben Salmane (MBS) pour crimes contre l'humanité, l’organisation constate un silence total de la presse saoudienne, révélateur du contrôle du paysage médiatique et de la persécution des journalistes saoudiens.
Le 2 mars 2021, RSF annonçait officiellement qu’elle déposait une plainte en Allemagne contre MBS et plusieurs de ses proches collaborateurs pour crimes contre l’humanité, en invoquant notamment l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et l’emprisonnement d’une trentaine d’autres. Alors que la nouvelle a fait le tour des médias internationaux en langue arabe comme la BBC, France 24, Monte Carlo Doualiya, Al-Hurra, mais aussi le groupe plurimédia panarabe basé à Londres Al-Arabi Al-Jadeed, ou encore les médias turcs Anadolu et TRT, l’information n’a pas été reprise par la presse saoudienne.
Les médias locaux, notamment la chaîne Al-Arabiya ou l’agence de presse officielle Saudi Press Agency (SPA), ont purement et simplement ignoré une information qui a pourtant fait la Une de la presse internationale, du Washington Post au Monde. Le reste de la presse continuait de partager des publications ordinaires, en décalage avec l'actualité : “Le roi et le prince héritier félicitent le président bulgare a l’occasion de la fête nationale”, pouvait-on notamment lire sur Saudi Gazette.
Ce n’est que le 6 mars qu’un commentateur politique, Turki Al-Hamad, suivi par plus de 400000 personnes sur Twitter, s’est exprimé sur le sujet, suscitant la controverse : “Même si MBS a donné l’ordre de tuer Khashoggi, ce qui est impossible (...), je ne mettrai pas en péril le sort d’une nation entière pour quelqu’un qui s’est vendu et pour une affaire qui est instrumentalisée”. Ironie du sort, cet universitaire avait lui-même été arrêté en décembre 2012 et soutenu par Jamal Khashoggi à l'époque, comme le lui ont fait remarquer certains internautes.
“Le silence des médias saoudiens est révélateur du musellement complet de la presse dans le Royaume, réagit la responsable du bureau Moyen-Orient de RSF Sabrina Bennoui. Un tel sujet, sur une figure politique aussi incontournable que le prince héritier et dirigeant de facto, aurait fait les gros titres dans n’importe quel autre pays avec des médias libres et indépendants. L’absence totale de traitement de cette information est en réalité un aveu bien plus éloquent sur le climat d'autocensure des journalistes que l’aurait été à l’inverse une couverture massive et unanimement défavorable.”
La déclassification du rapport de la CIA quelques jours avant la plainte de RSF, le 26 février, avait par contre donné lieu à d’importantes manifestations de soutien envers MBS de la part de profils Twitter anonymes. Le hashtag #AllOfUsMBS (“Nous sommes tous MBS”) est devenu un mot clé largement partagé dès le lendemain par des comptes automatiques liés aux autorités, surnommés les “mouches électroniques", laissant croire à un mouvement citoyen spontané et accusant les Etats-Unis de ne détenir aucune preuve. On y voyait notamment une photo du prince héritier accompagné d’une délégation et venu clôturer le Grand prix de Formule E organisé pour la troisième année consécutive sur le site de Dariya, dans la banlieue de la capitale, Riyad.
L’Arabie saoudite occupe la 170e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.