Un mois de présidence Trump : la liberté de la presse en état de siège
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Le premier mois du second mandat présidentiel de Donald Trump a été un tourbillon tumultueux pour le journalisme. Le président nouvellement élu, son administration et ses alliés politiques ont rapidement mené une série d'attaques contre la liberté de la presse, qui s'apparentent à un assaut monumental contre la liberté d'information. Reporters sans frontières (RSF) appelle le Congrès américain à défendre la valeur impartiale de la liberté de la presse face à cette attaque qui vise à affaiblir les droits du premier amendement des Américains.
Le premier jour de son entrée en fonction, le président Trump a signé un décret “rétablissant la liberté d'expression et mettant fin à la censure fédérale”. Comme RSF l'avait alors démontré, ce décret promeut en fait une vision perverse de la liberté d'expression qui met en danger la liberté de la presse. Depuis la signature de ce décret, l'administration Trump a systématiquement sapé les droits au premier amendement des médias d'information. Cependant, dans la guerre de Donald Trump contre la presse, le peuple américain est la victime ultime, privé de l'accès à des informations fiables sur son gouvernement.
“La liberté de la presse est la liberté de tous. Nous ne défendons pas les droits d'un journaliste parce que les journalistes sont au-dessus de tout le monde, mais parce que tout le monde a besoin d'accéder à des informations fiables provenant d'une pluralité de sources transparentes. C'est l'essence même de la liberté de la presse, et sans elle, la démocratie ne fonctionne pas. Donald Trump veut faire de cette affaire une opposition entre lui et la presse. En réalité, ce combat oppose Donald Trump aux droits de chaque Américain au titre du premier amendement.”
Clayton Weimers
Directeur du bureau de RSF aux États-Unis
Actions directes contre les organes de presse
Les mesures les plus ouvertement hostiles à la liberté de la presse prises par l'administration Trump ont été des menaces et des restrictions directes envers les journalistes et leurs organes de presse.
- Ingérence éditoriale : le 11 février, l'agence de presse Associated Press (AP) a été informée par la Maison-Blanche qu'il lui serait interdit d'assister à des événements officiels. Selon la rédactrice en chef de l'agence, Julie Pace, cette interdiction était une mesure de représailles parce que le guide de style d’AP continuait d'utiliser l'expression “golfe du Mexique” au lieu de “golfe d'Amérique” à la suite d'un décret rebaptisant la mer bordière.
- Limitation de l'accès aux reportages : l'administration limite l'accès physique des journalistes aux informations gouvernementales en restreignant l'accès aux comptes-rendus de la présidence et en permettant aux créateurs de contenu idéologiquement favorables de demander l'accès à la Maison-Blanche et au Pentagone, tout en mettant fin aux résidences de longue date de NBC News, du New York Times, de la National Public Radio et de Politico.
- Attaques personnelles et harcèlement sur les réseaux sociaux : Donald Trump et Elon Musk – que le nouveau président a fait venir pour réduire drastiquement la taille et la portée du gouvernement fédéral – insultent publiquement et nommément les journalistes en raison de leurs reportages et demandent leur renvoi.
- Contradictions sur la liberté d'expression : bien qu'il prétende être un “absolutiste de la liberté d'expression”, Elon Musk a demandé que l'équipe du magazine “60 Minutes” de la chaîne CBS soit condamnée à une “longue peine de prison” pour avoir interviewé un détracteur de sa politique.
- Intimidation juridique : Donald Trump a conclu un arrangement dans son procès avec Disney, la société mère de la chaîne ABC, mais continue de poursuivre la chaîne CBS, le quotidien Des Moines Register, le groupe Gannett et le Centre Pulitzer en raison d'une couverture défavorable.
- Allégations trompeuses : Elon Musk a prétendu à tort que l’agence Reuters et le média Politico avaient reçu des subventions gouvernementales inappropriées, ce qui a donné lieu à des mesures de rétorsion. Le président Trump a ordonné aux agences gouvernementales d'annuler tout abonnement à Politico Pro après une couverture négative d'Elon Musk, utilisant son pouvoir politique pour punir la dissidence.
- Des grâces pour des violences contre des journalistes : Donald Trump a gracié plus d'une douzaine de personnes accusées ou condamnées pour des crimes violents contre des journalistes au Capitole des États-Unis lors de l'insurrection du 6 janvier 2021.
Perturbation du journalisme indépendant dans le monde entier
Le recul de Donald Trump en matière de soutien à la liberté des médias à l'échelle internationale encourage les régimes autoritaires et incite à davantage de violence envers les journalistes dans le monde entier.
- Le 20 janvier, le président Trump a gelé des milliards de dollars destinés à des projets d'aide dans le monde entier, sur ordre d'Elon Musk. Cela comprend 268 millions de dollars alloués par le Congrès pour soutenir les médias indépendants étrangers et la libre circulation de l'information dans le monde.
- Elon Musk a également demandé la suppression de l'Agence américaine pour les médias mondiaux (USAGM), qui soutient les médias Voice of America (VOA) et Radio Free Europe/Radio Liberty, financés par l'État mais indépendants sur le plan éditorial, qui fournissent un journalisme fiable à des régions du monde où la liberté de la presse est faible.
- Le 6 février, le président Trump a signé un décret prévoyant des sanctions contre la Cour pénale internationale, ciblant délibérément le principal organe judiciaire habilité à enquêter sur les crimes de guerre commis contre des journalistes dans le monde entier et à en poursuivre les auteurs. Cette mesure vise à compliquer les efforts déployés pour demander des comptes sur les crimes potentiels commis par les forces israéliennes contre les journalistes à Gaza, dont plus de 160 assassinats.
“Supprimer, supprimer, supprimer…” : les mesures de Donald Trump contre la transparence
Depuis son entrée en fonction en janvier, Donald Trump a commencé à limiter l'accès du public aux informations gouvernementales. Le fait de cacher ces ressources nuit à l'accès du peuple américain à des informations précieuses et empêche les journalistes de faire leur travail, érodant ainsi la responsabilité publique. Des fonctionnaires ont supprimé des milliers de pages d’informations essentielles des sites web d'agences gouvernementales – telles que les Centres de contrôle et de prévention des maladies et le ministère de la Justice –, et les équipes de communication de plusieurs agences gouvernementales ont été empêchées de s'exprimer publiquement. L'équipe de la commission pour l’efficacité gouvernementale (DOGE), dirigée par Elon Musk, essaierait également de cacher ses dossiers et ses communications à l'examen de la loi sur la liberté de l'information (FOIA), qui permet aux journalistes d'enquêter sur les activités du gouvernement.
Politisation de la FCC
Donald Trump a nommé Brendan Carr, co-auteur du "Projet 2025" – le plan de campagne des conservateurs pour remodeler le gouvernement –, au poste de président de la Commission fédérale des communications (FCC), qui a de vastes compétences en matière de radiodiffusion et de télécommunications. Brendan Carr n'a pas perdu de temps pour mettre en œuvre une campagne apparemment politique d'enquêtes, de menaces explicites envers les médias et de menaces implicites contre les intérêts commerciaux de leur société mère.
- Le 22 janvier, Brendan Carr a rétabli les plaintes déposées contre les chaînes de télévision ABC, CBS et NBC au sujet de la couverture des élections de 2024. Et il a ostensiblement refusé de rétablir la plainte contre la société de médias Fox, qui entretient des liens étroits avec Donald Trump et son administration.
- Le 29 janvier, Brendan Carr a annoncé une enquête sur les groupes audiovisuels publics NPR et PBS, alléguant que leurs parrainages pourraient violer les termes de leurs licences de radiodiffusion non commerciale. Dans sa lettre aux présidents de NPR et de PBS, Brendan Carr a explicitement lié son enquête aux efforts déployés par le Congrès pour défaire les deux organisations médiatiques.
- Le 6 février, Brendan Carr a déclaré à la chaîne Fox News qu'il avait lancé “une enquête formelle” sur la station de radio californienne KCBS pour avoir prétendument indiqué l'emplacement des agents des services de l’immigration (Immigration and Customs Enforcement, ICE) lorsqu'ils procédaient à des expulsions.
- Brendan Carr a également ouvert une enquête sur Comcast, la société mère de la chaîne de télévision NBC, pour avoir “promu des formes odieuses de programmes inclusifs” (diversité, équité, inclusion, DEI).
Attaques via les alliés
Plusieurs alliés politiques de Donald Trump se sont également joints aux attaques contre les médias indépendants. La représentante républicaine Claudia Tenney a présenté un projet de loi visant à défaire PBS et NPR, tandis que le magnat des casinos Steve Wynn, grand donateur de la campagne de Donald Trump et ancien président des finances du Comité national républicain, a intenté une action en justice pour contester la décision de longue date dans l'affaire New York Times v. Sullivan, qui confère aux médias d'importantes protections contre les poursuites en diffamation.
Promesses vides sur Austin Tice
Le 12 février, dans un moment d'espoir, l'administration Trump a obtenu une victoire importante pour la liberté de la presse en concluant un accord pour libérer le journaliste de Radio Free Europe/Radio Liberty Andrei Kuznechyk de sa prison au Bélarus. Malheureusement, Donald Trump n'a donné aucune information publique sur la recherche du journaliste américain Austin Tice, enlevé en Syrie en 2012. Aucun progrès visible n'a été réalisé malgré le récent changement de régime en Syrie – la meilleure occasion depuis des années pour libérer Tice.
Les États-Unis ont reculé dans le Classement mondial de la liberté de la presse de RSF au cours de chacune des trois dernières années et se situent désormais à la 55e place sur 180 pays et territoires en 2024, soit le classement le plus bas de leur histoire.