Un journaliste espagnol diffamé en toute impunité
Organisation :
Reporters sans frontières est consternée par la décision de la cour d'appel de Casablanca qui a acquitté, le 20 avril 2004, trois journalistes du quotidien Aujourd'hui Le Maroc, condamnés à une amende pour diffamation en première instance pour avoir publié, entre le 30 octobre et le 1er novembre 2002, un article accusant d'" espion " Ignacio Cembrero, journaliste au quotidien espagnol El Pais.
" Nous sommes consternés par cette décision. Elle signifie qu'un journaliste peut être gravement mis en cause dans l'exercice de sa profession, en toute impunité. La condamnation pour diffamation que réclamait Ignacio Cembrero avait valeur symbolique, et représentait un garde-fou contre les accusations infamantes contre les journalistes dès que leurs articles osent franchir les lignes rouges imposées par le Palais. C'est un précédent dangereux pour la liberté de l'information. On se demande, considérant ce coup de théâtre spectaculaire, s'il n'y aurait pas eu des pressions politiques sur la Justice pour qu'elle déboute un journaliste qui a osé écrire sur les Forces Royales Armées ", a déclaré l'organisation.
L'article incriminé, publié dans Aujoud'hui Le Maroc, accusait Ignacio Cembrero de " travailler pour les services secrets espagnols ". Il était une riposte virulente à un article paru dans El Pais, dans lequel Ignacio Cembrero évoquait, en quelques lignes, l'existence d'un " comité des officiers libres ", mouvement contestataire au sein des Forces Royales Armées, mais qui ne constituait pas le sujet principal de son article. Après avoir été qualifié d' " espion ", Ignacio Cembrero a adressé un droit de réponse à Aujourd'hui Le Maroc, que le quotidien n'a pas publié, contrairement à ce que prévoit le code de la presse marocain.
Le tribunal de première instance de Casablanca avait condamné, le 7 mai 2003, le directeur de publication Khalil Hachimi Idrissi, et deux journalistes Omar Dahbi et Abdellah Chankou, à verser, chacun, 10 000 dirhams (environ 900 euros) à l'Etat, et 10 000 dirhams de dommages et intérêts à Ignacio Cembrero. Le quotidien marocain devait également publier le verdict du procès dans ses colonnes.
Le procès en appel, après avoir été ajourné à de multiples reprises, a abouti à l'acquittement des journalistes d'Aujourd'hui Le Maroc, sans que ceux-ci n'aient jamais apporté la moindre preuve sur le métier d' " espion " que pratiquerait Ignacio Cembrero. La cour d'appel s'est par ailleurs déclarée incompétente en ce qui concerne les demandes de dédommagement formulées par la partie civile.
Alors que le tribunal de première instance a reconnu qu'Ignacio Cembrero avait été diffamé dans l'article d'Aujourd'hui Le Maroc, le revirement brutal de la cour d'appel reste inexplicable. D'autant que les motivations de cette décision de justice renversent les charges, en reprenant les arguments de la défense, qui accusent le journaliste espagnol de " porter atteinte au moral des Forces Royales Armées ".
Publié le
Updated on
20.01.2016