Ukraine : maltraité, humilié, mais vivant… RSF obtient un témoignage exclusif sur le sort du journaliste Dmytro Khyliuk détenu en Russie
Selon un témoignage obtenu par Reporters sans frontières (RSF), le journaliste ukrainien Dmytro Khyliuk est toujours détenu dans la région de Vladimir en Russie. L’homme avec lequel notre organisation a pu s’entretenir longuement a passé un an dans la même cellule que le reporter arrêté en mars 2022. Il raconte leur calvaire.
“Quand je suis revenu en Ukraine, j’ai vu sa photo et je peux vous dire qu’il ne ressemble plus du tout à cela.” Ihor, un prisonnier de guerre ukrainien libéré en mai 2024, a vécu un an d’enfer dans les geôles russes aux côtés de celui qu’il considère désormais comme son ami : le journaliste Dmytro Khyliuk. Les deux hommes ont partagé pendant près d'un an la cellule numéro 8 de la colonie pénitentiaire IK-7 de Pakino située dans la région de Vladimir, à quelques centaines de kilomètres à l’est de Moscou. Le journaliste y est toujours détenu.
Privation de nourriture, coups, séances de propagande, humiliation, Ihor livre un témoignage glaçant de cette captivité subie par une quinzaine d’Ukrainiens, civils et militaires, dans cette cellule. En plein hiver, et par moins dix degrés, il raconte par exemple avoir été forcé, avec ses compagnons, à une promenade entièrement nus dans la cour de la prison. Lors de l’inspection, il est assez courant que les gardes de l’administration pénitentiaire ou les services de sécurité (FSB) s’amusent à lâcher les chiens sur les prisonniers. Ces derniers sont régulièrement contraints de chanter l’hymne russe ou privés de nourriture. Comme les autres co-détenus, le journaliste a perdu beaucoup de poids. D’après Ihor, il ne pèse sans doute “pas plus de 45 kilos” désormais.
“Nous demandions une preuve de vie à la Russie, nous avons obtenu par nos propres moyens une nouvelle preuve des cruautés infligées au journaliste Dmytro Khyliuk et à ses compagnons d’infortune. Non seulement la Russie continue à mentir sur son sort, mais elle lui inflige des traitements dégradants et inhumains. Dans le monde, certains otages aux mains de groupes criminels ou terroristes ont été traités avec plus d’égards et de dignité. Nous demandons aux autorités russes de le libérer et aux autorités ukrainiennes de redoubler d'efforts pour le sortir de cet enfer.
Dmytro Khyliuk, journaliste pour l'agence de presse ukrainienne Unian, a été arrêté en pleine invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 3 mars 2022 dans son village au nord de la capitale, Kyiv. Depuis, RSF n’a cessé de documenter et de retracer le parcours de sa captivité, des compartiments réfrigérés de l’aéroport d’Hostomel près de chez lui, où il a d’abord été retenu pendant plusieurs jours, jusqu’à la colonie pénitentiaire de Pakino, où il se trouve depuis mai 2023, en passant par le centre de détention préventive de Novozybkov, son premier lieu d’incarcération en Russie.
Le 19 mars 2024, après deux ans de déni, les autorités russes ont finalement admis dans une lettre signée du ministère de la Défense et consultée par RSF, détenir Dmytro Khyliuk sur leur territoire en insinuant qu’il était considéré comme un prisonnier de guerre au même titre que les soldats ukrainiens qu’elle détient.
Un mois plus tôt, le commissaire aux droits humains ukrainien Dmytro Lubinets avait assuré, lors d’un entretien avec RSF à Kyiv, que le journaliste faisait partie des cas évoqués lors des échanges avec les autorités russes concernant les milliers de civils ukrainiens capturés et emprisonnés en Russie ou dans les territoires occupés. Ils seraient au moins 4 000 dans cette situation selon la Media Initiative for Human Rights (MIHR), une ONG ukrainienne de défense du journalisme. Ces civils, dont Dmytro Khyliuk, sont presque totalement exclus des échanges de prisonniers de guerre qui ont connu une forte recrudescence ces derniers mois.
La Russie occupe la 162e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024, l’Ukraine la 61e place.