Ukraine : après le licenciement des journalistes du Kyiv Post, RSF appelle son propriétaire à vendre le journal
Inquiets pour la liberté d’expression dans leur pays, des journalistes influents se mobilisent après la décision inattendue d’Adnan Kivan de renvoyer la rédaction du Kyiv Post. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme des pressions subies par le média anglophone après des articles critiques sur le pouvoir en place et demande au propriétaire de céder le journal pour protéger son indépendance.
C’est en arrivant à leur bureau, le matin du 8 novembre, que les collaborateurs du Kiyv Post ont découvert qu’ils n’avaient plus accès à leurs postes de travail. Ce licenciement collectif et sans préavis de toute la rédaction de ce média anglophone de référence, officiellement pour une “réorganisation”, a choqué de nombreux journalistes ukrainiens. Ces derniers se sont mobilisés, mardi 16 novembre au matin, en postant une vidéo pour annoncer la création d’un nouveau “Mouvement des médias” et défendre la liberté d’expression dans le pays.
Trois semaines avant le limogeage de la rédaction, le propriétaire du journal, Adnan Kivan, avait soudainement annoncé sa volonté de réorganiser le média et développer une version en trois autres langues. Il avait nommé un rédacteur en chef spécifique à la tête de la nouvelle édition ukrainienne. Ce choix avait alors été perçu comme un risque pour l'indépendance de la ligne éditoriale par la rédaction, qui avait manifesté son opposition. L’homme d’affaires a également fait part de sa contrariété face aux récents articles critiques envers le pouvoir en place, en particulier la Une du journal sur l’enquête des “Pandora Papers” révélant les comptes offshores du président Zelensky.
Face au scandale provoqué par le licenciement de la rédaction du Kiyv Post, Adnan Kivan a proposé aux quelques 50 journalistes de réintégrer leurs postes, mais sous une direction renouvelée. Ceux-ci ont refusé, considérant la coopération impossible en raison de ses tentatives d’ingérence et de sa volonté, selon eux, de “se débarrasser des journalistes gênants”. De son côté, le magnat du bâtiment a refusé leur demande de vendre le journal.
“Ce licenciement collectif et brutal de la rédaction est contraire à l’engagement pris par Adnan Kivan en rachetant le Kyiv Post en 2018 de protéger son indépendance, rappelle la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Si les soupçons de pressions de la part de l’administration présidentielle se confirment, cela représenterait une évolution très inquiétante de l’état de la liberté de la presse en Ukraine. RSF appelle les autorités à respecter l’indépendance des médias et soutient les demandes de la rédaction, à savoir la vente du journal ou bien sa cession à l’équipe rédactionnelle.”
L’une des journalistes licenciés a rapporté des pressions exercées sur l’ex-rédacteur en chef du journal, Brian Bonner, de la part de la procureur général Irina Venediktova et de députés du parti au pouvoir. Selon d’autres journalistes, dont le rédacteur en chef du site d’information Ukraïnska Pravda Sevgil Musayeva, l’entreprise de construction d’Adnan Kivan a récemment perdu un certain nombre d’appels d’offres et de transactions foncières, signe de pressions politiques. Sur Facebook, le porte-parole du président s’est dit “désagréablement surpris” de ces allégations.
La présidence ukrainienne tend à user de méthodes excessives pour lutter contre la désinformation. Un mécanisme de sanctions aux critères opaques et sans contrôle judiciaire, en contradiction avec les engagements internationaux de l’Ukraine, a récemment été utilisé pour censurer des médias pro-Kremlin.
Le pays occupe la 97e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.