Twitter accusé de ne pas protéger ses utilisateurs contre la désinformation
Le 23 août, le Washington Post a révélé que l’ancien chef de la sécurité de Twitter accuse, documents à l’appui, son ancien employeur de ne pas protéger ses utilisateurs contre le piratage et la manipulation de l’information. Contacté par RSF, le réseau social dénonce un "faux récit (...) destiné à porter préjudice à Twitter, ses clients et ses actionnaires". Pour lutter contre la désinformation, Reporters sans frontières (RSF) appelle les plateformes, comme les États, à suivre les recommandations formulées par le Forum sur l’information et la démocratie.
“Twitter est utilisé quotidiennement par plus de 230 millions d’utilisateurs, et les documents produits par le Washington Post affirment que la plateforme lutte contre la désinformation avec des moyens faibles et une organisation chaotique, analyse Vincent Berthier, responsable du bureau technologies de RSF. La désinformation est un problème d’intérêt général que les plateformes ne peuvent pas gérer seules. Ces entreprises, tout comme les États, doivent suivre les recommandations du rapport Pour mettre fin aux infodémies. Il est temps de mettre en place une gouvernance démocratique de l’espace informationnel et d’endiguer la désinformation sur ces grandes plateformes.”
Ancien chef de la sécurité de Twitter de novembre 2020 à janvier 2022, Peiter Zatko affirme que son ancien employeur ne respecte pas les termes d'un accord conclu il y a onze ans avec la Federal Trade Commission (FTC), qui interdisait à Twitter “d'induire en erreur les consommateurs sur la mesure dans laquelle il assure leur sécurité”. Peiter Zatko, également connu comme hacker sous le nom de “Mudge”, entend prouver ses accusations avec des documents remis le 6 juillet 2022 à la FTC, à l'Autorité américaine de régulation des marchés (Securities and Exchange Commission) et au département de la Justice américain.
Le 23 août, le Washington Post a publié ces documents, parmi lesquels un rapport détaillé de Peiter Zatko sur les risques de sécurité encourus par Twitter. Le média publie également sous le nom de Twitter's Efforts Against Propaganda, un rapport commandé par Peiter Zatko à une organisation que le Washington Post identifie comme étant Alethea Group, une entreprise spécialisée dans la lutte contre la désinformation. Ce rapport décrit Twitter comme une entreprise désorganisée en matière de lutte contre la désinformation. Contacté par RSF, Twitter estime : “Ce rapport ne représente pas la plateforme telle qu'elle existe aujourd'hui et ne rend pas compte des efforts importants et continus que nous déployons pour affiner notre approche en matière de lutte contre la désinformation sur Twitter.”
Ces révélations surviennent alors que le réseau social et Elon Musk sont en plein contentieux juridique, dans le cadre duquel elles pourraient jouer un grand rôle. Les documents accordent d’ailleurs une place de premier plan aux spams et aux faux comptes, sujet de discorde au cœur de cette bataille entre la plateforme et l’entrepreneur. Le réseau social précise à RSF que “M. Zatko a été licencié de son poste de cadre chez Twitter en janvier 2022 pour son manque de leadership et ses faibles performances. Ce que nous avons vu jusqu’à présent est un faux récit à propos de Twitter et de nos pratiques en matière de confidentialité et de sécurité des données, qui est empreint d’incohérences et d’inexactitudes et qui manque cruellement de contexte. Les allégations et le timing opportuniste de M. Zatko semblent destinés à capter l’attention et à porter préjudice à Twitter, ses clients et ses actionnaires. La sécurité et la confidentialité sont depuis longtemps des priorités pour l’ensemble des équipes Twitter et continueront à l’être.”
Une entreprise en gestion de crise permanente
D’après le document Twitter's Efforts Against Propaganda, l’élaboration des règles structurantes pour lutter contre la désinformation sur la plateforme serait la responsabilité de l’équipe ”Site Integrity”. Le travail de cette dernière a une importance stratégique car il détermine l’action des autres équipes chargées de modérer les contenus ou les comptes des utilisateurs. Twitter a en effet confirmé à RSF que la désinformation était traitée par un ensemble d’équipes dont la “Site Integrity” fait partie.
Cependant, le rapport détaille la manière dont ce travail crucial serait entravé par l’organisation interne de l’entreprise. Ainsi, l’équipe n’aurait pas d’ingénieurs à sa disposition pour mettre à jour des outils existants, ou en développer de nouveaux, pouvant les aider dans leur tâche. Et ce ne seraient pas les seuls postes vacants. Le rapport publié par le Washington Post affirme que seules deux personnes seraient affectées à des postes liés à la désinformation, quand il en faudrait huit. Le document évoque de surcroît des problèmes de coordination avec d’autres équipes, chargées de la modération des contenus de désinformation, ou de modérer des comptes de spams. Une mauvaise coordination qui mènerait à des difficultés pour identifier les responsabilités incombant à chaque équipe.
De plus, toujours selon le rapport, Twitter traiterait la désinformation comme une crise continuelle. Cette manière d’appréhender le travail impliquerait que les équipes en charge de ce sujet soient toujours dans la réaction face à un problème survenant rapidement. L’équipe choisirait donc de travailler en priorité sur l’élaboration de nouvelles règles d’utilisation de Twitter, édictées à la hâte, plutôt que de se livrer à un travail de fond sur la manière dont la désinformation circule sur leur plateforme. Si une telle méthode de travail était avérée, elle poserait en effet de graves questions sur la capacité de Twitter à lutter efficacement contre un sujet que l’entreprise ne connaîtrait que partiellement.
Le monde serait-il trop gros pour Twitter ?
Selon ce rapport, l'équipe “Site Integrity”, en charge notamment de la rédaction des politiques de Twitter sur la désinformation, ne disposerait pas d’assez de compétences linguistiques pour assurer sa mission à une échelle mondiale. Il estime que l’approche de Twitter pour rédiger les politiques serait trop centrée sur les problèmes américains. Par conséquent, les auteurs du rapport considèrent que Twitter n’a pas les moyens de ses ambitions internationales en ce qui concerne la protection de ses utilisateurs.
RSF déplore les éléments rapportés dans ce document mais rappelle que la désorganisation dans la lutte contre la désinformation n’est pas une fatalité. En 2020, Le Forum sur l’Information et la démocratie, initié par RSF, publiait un rapport intitulé Pour mettre fin aux infodémies. Des experts du monde entier y ont formulé 250 recommandations pour lutter contre la désinformation. Ces recommandations s’adressent tant aux plateformes qu’aux États. Seule une concertation internationale entre toutes les parties prenantes, entreprises privées comme puissances publiques, peut endiguer la désinformation qui sévit dans le monde entier et tire profit des failles des grandes plateformes de communication.