Turquie : le rachat du groupe de presse Doğan parachève la prise de contrôle du gouvernement sur les médias
Le plus grand groupe de presse turc, Doğan, a fait savoir le 21 mars 2018 qu’il était en train de négocier son rachat par une holding proche du pouvoir. Une annonce qui consacre la mort du pluralisme en Turquie, selon Reporters sans frontières (RSF).
C’est la fin d’une époque : le géant des médias Doğan, dernier groupe de presse à ne pas encore être sous la coupe du gouvernement turc, s’apprête à vendre l’ensemble de ses titres à une holding proche du pouvoir, Demirören. Parmi ses fleurons figurent le quotidien Hürriyet, la chaîne d’information en continu CNN Türk (une joint venture avec la chaîne américaine), l’agence de presse DHA, le quotidien anglophone Hürriyet Daily News, la chaîne Kanal D ou encore le journal populaire Posta. De nombreux départs sont à prévoir parmi les journalistes du groupe.
“Cette vente consacre la mort du pluralisme et du journalisme indépendant au sein de la grande presse en Turquie, déplore Erol Önderoğlu, représentant de RSF dans le pays. A l’approche des élections générales de 2019, l’emprise du gouvernement sur les médias est désormais totale. Alors qu’une répression sans précédent s’abat sur la société civile et l’opposition, seule une poignée de journaux à faible tirage subsiste pour faire entendre autre chose que la propagande officielle.”
Comme le montrait le projet "Media Ownership Monitor", mené ces dernières années par RSF et le site d’information Bianet, 80% du paysage médiatique turc était déjà affilié, politiquement ou financièrement, au gouvernement. Avec la vente des médias du groupe Doğan, neuf des dix chaînes les plus regardées et neuf des dix quotidiens nationaux les plus lus seront aux mains d’investisseurs proches du pouvoir.
Sous pression, le groupe Doğan avait déjà vendu à Demirören le prestigieux quotidien Milliyet en 2011. Un temps réputé comme un des piliers du journalisme indépendant, ce titre a depuis lors connu une intense transformation, jusqu’à faire aujourd’hui partie intégrante de la machine de propagande gouvernementale. Les médias restés au sein du groupe Doğan ont quant à eux sensiblement adouci leurs positions vis-à-vis du gouvernement.
Le patron du groupe Demirören, Erdoğan Demirören, est réputé proche du président Recep Tayyip Erdoğan. Alors Premier ministre, ce dernier était le témoin de mariage d’un des fils et co-actionnaires de l’industriel en 2003. Dans un enregistrement téléphonique mis à jour en 2014, le Premier ministre reprochait vertement à Erdoğan Demirören d’avoir laissé Milliyet publier des révélations sur les négociations de paix entre l’Etat et la rébellion kurde du PKK. Le patron du groupe, en pleurs, demandait pardon et promettait de sévir sur le champ.
La Turquie occupe la 155e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés.