Turquie : le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’en prend aux sites turcophones des médias internationaux
À la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel, un juge d’Ankara a décidé de rendre inaccessible le site en turc de Voice of America (VOA), faute de licence de diffusion. RSF demande au gouvernement turc d’assurer l’indépendance de cette institution de régulation de l’audiovisuel en Turquie et de rétablir l’accès au média VOA.
Un juge de la capitale Ankara a décidé, le 28 août, de suspendre l’accès au site en turc de la chaîne publique américaine Voice of America, pour ‘diffusion sans licence’, répondant ainsi favorablement à la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel turc (RTÜK). Une semaine auparavant, le RTÜK, chargé de la surveillance des sites d’informations, avait mis en demeure le média en ligne et réclamé le versement des frais de licence sous 72 heures.
L’affaire a été portée devant la Cour constitutionnelle par deux défenseurs de la liberté d’expression et professeurs de droit, Yaman Akdeniz et Kerem Altiparmak, qui, en qualité d’usagers, arguait que le droit à l’information a été violé. Cette haute cour n’a, à ce jour, pas rendu sa décision. Elle pourrait constater et condamner une ‘violation de la Constitution’ et mettre en cause la procédure de licence.
“Après avoir considérablement affaibli les chaînes nationales critiques en leur infligeant des amendes arbitraires, le RTÜK impose des décisions abusives aux sites d’information internationaux. Tant que ce conseil ne sera pas doté d’un statut indépendant, il servira d’instrument de censure du pouvoir.”
Erol Onderoglu
Représentant de RSF en Turquie
Le 21 février 2022, le RTÜK a une première fois mis en demeure les sites turcophones de Voice of America (VOA), Deutsche Welle (DW) et Euronews, les sommant d’entamer les démarches d’octroi de licences pour la diffusion de leurs émissions en Turquie. Le directeur général de DW, Peter Limbourg, déclarait, sur le site du média en ligne, qu’il ne répondrait pas à cette demande arguant publiquement que, selon lui, c’est “le contenu journalistique lui-même” qui est dans le viseur des autorités qui a désormais “la possibilité de bloquer l'ensemble du service sur la base d’articles critiques, à moins que ces contenus ne soient supprimés. Cela ouvre la voie à la censure”.
Les médias internationaux dans le viseur du RTÜK
Cette crainte des médias internationaux envers le RTÜK n’est pas infondée. Les médias locaux ont déjà fait l’objet d’usage abusif des mécanismes de régulation et de répression octroyés à ce conseil. En 2022, le RTÜK a interrompu la diffusion de 217 programmes et infligé pas moins de 603 amendes à des médias radiophoniques et télévisés, d’après le site d’information Bianet, partenaire de RSF en Turquie. Les chaînes critiques du pouvoir, telles que Halk TV, Tele1, KRT TV ou encore Fox TV, ont été les plus durement sanctionnées.
Créé en 1994 pour réguler le secteur audiovisuel privé, ce conseil est composé de neuf membres, parmi lesquels d’anciens journalistes ou fonctionnaires d’Etat, proposés par les partis politiques représentés au Parlement à proportion du nombre de sièges qu’ils disposent à l'Assemblée nationale. Il est alors aujourd’hui dominé par l’alliance gouvernementale (AKP–MHP).
Ces quatre dernières années, le rôle du RTÜK vis-à-vis des plateformes et médias internationaux s’est renforcé. Depuis le 1er septembre 2019 et l’instauration d’un règlement relatif aux “Services de radio, de télévision et de médias à la demande via l'environnement Internet”, les médias internationaux sont légalement soumis à la surveillance du RTÜK et à l’obligation de demander une licence pour pouvoir émettre depuis la Turquie.
En 2020, l’encadrement est devenu plus strict. Un amendement oblige les plateformes numériques ayant plus d’un million d’utilisateurs en Turquie à désigner un représentant légal sur le territoire, sous peine de diverses sanctions telles que des amendes, une interdiction de diffuser de la publicité ou en dernier ressort, la restriction de leur bande passante.