Turquie : cette brutalité policière doit cesser !
Trois journalistes ont été agressés à Ankara alors qu’ils couvraient une manifestation contre les violences conjugales, ce mardi 26 juillet. RSF s’insurge contre ces violences policières incessantes qui mettent en péril le travail des journalistes.
“L’intervention incessante et arbitraire des membres des forces de l’ordre contre les journalistes installe une habitude d’interdire les lieux de manifestations aux professionnels de l’information. Cette pratique et logique sont tout simplement inacceptables, estime le représentant de RSF en Turquie, Erol Onderoglu. Il est temps que le ministère de l’Intérieur mette fin à cette pratique honteuse et respecte la liberté de la presse.”
Le 26 juillet, trois journalistes des médias d’opposition ont été brutalisés par les forces de l’ordre dans la capitale Ankara, alors qu’ils tentaient de couvrir une manifestation violemment réprimée par les forces de l’ordre.
Melis Ciddioglu, reporter du site d’information de la communauté des alévis PIRHA, Kadir Devir, cameraman de la chaîne critique exilée Arti TV et Emel Vural de l’agence pro-kurde Mésopotamie (MA) ont été pris à partie par des policiers et empêchés de couvrir une manifestations de militantes du syndicat du secteur publique (KESK), souhaitant s’exprimer en faveur de la Convention d’Istanbul.
En effet, une décision du 19 juillet du Conseil d’État a validé, à la majorité, le décret du président Erdogan du 20 mars dernier qui exclut la Turquie de cette Convention internationale d’Istanbul, dont elle était pourtant à l’initiative. Celle-ci a pour but de renforcer les mécanismes de protection des femmes victimes de violence.
Violences et humiliations
“Arrêtez cette mise en scène de victime”, a dit un policier à Melis Ciddioglu, tenue par le bras et projetée par terre sur la place de Sakarya. Lorsque Kadir Devir, brutalisé, a dit au policier qu’il porterait plainte, celui-ci lui a répondu : “Si tu veux, je te donne mon numéro de portable et on s’envoie des messages ce soir ? Va porter plainte, où bon te semble.” Un policier a immobilisé Emel Vural au moment où elle couvrait l'arrivée des militantes au siège du KESK, et a lancé son appareil photo par terre.
Le 26 juin dernier, c’était le photoreporter de l’AFP Bülent Kiliç qui était brutalement interpellé, aux côtés de plus de 300 personnes, aux abords de la place Taksim, alors qu’il couvrait la Marche des fiertés à Istanbul. La police l’a menotté dans le dos et transféré au siège de la police nationale d’Istanbul, d’où il a été remis en liberté la nuit même. Contacté par RSF, il a déclaré avoir porté plainte pour “violence et détention illégale”.
L’an passé, la même violente arrestation de Bülent Kiliç, lors de la même manifestation, avait provoqué un sursaut des organisations représentatives des journalistes. Le 29 juin 2021, pour la première fois depuis la proclamation de l’état d'urgence de 2016, celles-ci avaient manifesté devant la Préfecture d’Istanbul.
Depuis janvier 2021, au moins 37 journalistes (dont 13 femmes) ont été agressés par les forces de l’ordre en Turquie. Malgré les dénonciations et les plaintes déposées par les représentants de la profession, l’intervention policière contre les journalistes reste une pratique courante. À l’approche des élections de 2023, le pouvoir autoritaire turc tente de réduire la visibilité des partis politiques et des mouvements d’oppositions.
Trois décisions exemplaires restées lettres mortes
Ces brutalités policières ne cessent en Turquie, malgré trois décisions rendues depuis 2019 par la Cour constitutionnelle. Elles ont permis la mise en accusation de neuf policiers accusés d’être impliqués dans les cas d’agression et interpellation des journalistes Erdal Imrek (Evrensel-Universel), Beyza Kural (Bianet.org) et Gökhan Biçici (Dokuz8haber).
Les journalistes Gökhan Biçici, Beyza Kural et Erdal Imrek, ont démontré les réticences de la justice turque à poursuivre les policiers impliqués dans le processus de répression. Grâce à la détermination de ces trois journalistes qui ont saisi la Cour constitutionnelle, neuf policiers sont désormais sur les bancs des accusés.
Le procès de trois policiers de la direction de sécurité d’Istanbul, accusés d’avoir violemment interpellé le journaliste Gökhan Biçici, débute enfin, neuf ans après les faits, le 30 juin, devant le tribunal correctionnel d’Istanbul. Cette arrestation violente avait eu lieu le 15 juin 2013, alors que Gökhan Biçici tentait de couvrir les manifestations massives du parc de Gezi, où des militants de l’environnement empêchaient un projet de construction dans ce lieu. Si des non-lieux ont été prononcés pour les membres des forces de l’ordre concernés, ceux-ci ont été annulés par la Cour constitutionnelle le 8 juin 2021. Le parquet d’Istanbul a ainsi été contraint d’inculper les policiers.
Le 24 juin dernier, le procès de trois autres policiers accusés d’avoir agressé puis interpellé, l’ancien reporter du quotidien Evrensel (Universel) Erdal Imrek, a débuté à Istanbul. Le 31 mai 2014, des policiers éloignent le reporter du groupe de manifestants et l'isolent pour lui donner des coups de pieds et asperger son visage de gaz lacrymogène.
Comme Biçici et Imrek, l’ancienne reporter du site Bianet.org, Beyza Kural a dû mener un combat acharné contre l’impunité institutionnelle : le 6 novembre 2015, des policiers se sont acharnés sur la journaliste alors qu’elle tentait de couvrir une mobilisation étudiante, à l’Université d’Istanbul, contre le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) - autorité qui gère les universités dans le pays. “Rien ne sera pareil en Turquie et vous allez l’apprendre, ça”, lui disait l’un des policiers, après l’avoir menotté dans le dos, lors du transfert dans un car de la police.
Les avocats d’Erdal Imrek et de Beyza Kural plaident pour que les actes d’accusation de “violence causant des blessures légères” et d’“obstruction de la vie professionnelle” soient remplacés par ceux de “mauvais traitements et traitements dégradants” et de “violation de la liberté de la presse”. Le procès de Beyza Kural se poursuivra le 30 septembre prochain.