Trois journalistes enlevés en dix jours au Burkina Faso : les autorités doivent sortir du silence

Un journaliste et deux chroniqueurs ont été enlevés en l’espace de dix jours au Burkina Faso. Le silence des autorités autour de ces disparitions, dont l’une a été le fait de membres se revendiquant des services de renseignement du pays, reste total. Reporters sans frontières (RSF) exhorte le pouvoir à sortir de son mutisme.  

Le silence des autorités est assourdissant. Neuf jours après l’enlèvement du directeur de publication du journal L’Événement, Serge Oulon, par des personnes qui se sont revendiquées de l’Agence nationale de renseignement (ANR), sa famille et ses proches n’ont toujours aucune nouvelle de lui. Son avocat, Batis Benao, a pourtant transmis des correspondances à quatre parquets. Des lettres restées sans réponse à ce jour.

Deux chroniqueurs sont également portés disparus depuis les 19 et 28 juin. Kalifara Séré,  qui intervient notamment dans l’émission “7Infos” sur la chaîne de télévision privée BF1, est porté disparu depuis le 19 juin, au lendemain d’une audition à la police judiciaire. Elle portait sur l’une de ses interventions où il avait, deux jours plus tôt, remis en cause l’authenticité des images filmées du chef de l’État, Ibrahim Traoré, donnant son sang. Pour cette séquence, l’émission “7Infos” a elle été suspendue à compter du 20 juin pour deux semaines par le Conseil supérieur de la communication (CSC), le régulateur des médias.

Quant à Adama Bayala, qui intervient, lui, chaque dimanche dans l’émission “Presse Échos” sur la même chaîne, BF1, il n’a plus donné signe de vie depuis le 28 juin. “Il a quitté son bureau et est parti voir un ami, qui l’a attendu en vain. Il aurait été enlevé en pleine circulation”,  indique un proche, qui souhaite garder l’anonymat.

Si une seule de ces trois disparitions de journalistes a été revendiquée par des membres présumés de l’ANR, RSF a toutes les raisons à ce jour à s’inquiéter de l’implication des autorités. En effet, les enlèvements d’activistes et de membres de la société civile par les services de renseignements se sont normalisés sous le régime de la junte. Certains sont enfermés quelques semaines ou mois dans des villas banalisées en pleine capitale, tandis que d’autres sont transférés dans le camp militaire de Kaya à environ 80 km de la capitale Ouagadougou, pour y suivre une formation militaire en vue d’une mobilisation dans l’armée. 

“Que trois journalistes disparaissent en dix jours sans provoquer une seule réaction des autorités en place est révoltant ! Face à ce silence tonitruant et aux stratégies d’enlèvement déjà utilisées par les autorités pour faire taire les voix critiques, et du fait que l’un d’entre eux a été revendiqué comme tel, RSF a toutes les raisons de penser que les journalistes et chroniqueurs ont été la cible d’enlèvement par des membres des services de renseignement. Il revient au pouvoir en place de sortir de son mutisme et de mettre tout en œuvre pour faire toute la lumière sur le sort de Serge Oulon, Kalifara Séré et Adama Bayala. Ces pratiques instaurent un climat de peur et d’autocensure qui met en péril la liberté de la presse dans un pays qui l’avait érigée comme pilier.”

Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF

Depuis l’arrivée d’Ibrahim Traoré au pouvoir, le Burkina Faso est progressivement devenu une zone de non-information. Médias internationaux suspendus, correspondants expulsés, journalistes burkinabè sous pression constante : tous les moyens sont bons pour réduire au silence la presse libre et indépendante. En novembre 2023, deux journalistes critiques du pouvoir avaient aussi été réquisitionnés par l’armée, avant d’être finalement démobilisés. 

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