Transition politique au Bangladesh : face à la montée des attaques contre les journalistes, RSF appelle les autorités intérimaires à les protéger d’urgence
Deux journalistes ont été arrêtés dans la nuit du 20 août à l’aéroport de Dacca alors qu’ils tentaient de fuir le pays, craignant des représailles à leur activité. Leurs noms figurent sur une liste de professionnels des médias accusés de collusion avec l’ancien gouvernement de Sheikh Hasina et, dans cette phase de transition politique, les violences contre les journalistes et médias se sont multipliées. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités intérimaires à protéger tous les journalistes.
Il est autour de 5h30, le 21 août, lorsque les journalistes Farzana Rupa et Shakil Ahmed sont bloqués à la douane de l’aéroport international Hazrat Shahjalal à Dacca. Le couple, qui travaillait auparavant pour la chaîne privée Ekattor TV, proche du gouvernement de l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina, devait s’envoler vers la France, par crainte de représailles à leur activité. Leurs noms figurent sur une liste non-officielle – diffusée en ligne – de 235 professionnels des médias accusés d’avoir soutenu l’ancien pouvoir.
Quelques heures après leur interpellation, les deux journalistes sont transférés dans un commissariat de la capitale. Faisant l’objet d’accusations particulièrement graves, dont “incitation à la violence”, ils sont placés en détention provisoire ce 22 août. Shakil Ahmed et Farzana Rupa, qui a également travaillé pour la chaîne internationale France 24 notamment, sont les premiers journalistes visés par des poursuites depuis la formation du gouvernement intérimaire dirigé par l’économiste Muhammad Yunus, alors que le pays connaît une grave montée des violences visant les journalistes et les médias.
Au milieu du chaos sécuritaire, les professionnels des médias nommés sur cette liste les accusant de connivence avec l’ancien pouvoir risquent particulièrement des représailles. Sont cités, entre autres, des journalistes des quotidiens indépendants Prothom Alo et Daily Star, le correspondant de RSF, ainsi que ceux de médias internationaux comme Associated Press et Deutsche Welle. Depuis le début du mois, au moins deux raids violents de manifestants non identifiés ont d’ailleurs eu lieu dans les locaux d’une entreprise de presse et d’un club local de presse et plus d’une vingtaine de journalistes ont été victimes d'agressions.
“Les violences récurrentes contre les journalistes au cours des semaines passées sont intolérables. Laisser prospérer les agressions de reporters et les saccages de rédactions reviendrait à tolérer un climat de terreur après 15 années d’une chape de plomb, imposée aux médias par le gouvernement de l’ancienne Première ministre. RSF appelle les autorités intérimaires à les protéger d’urgence, tant des manifestants que des représailles judiciaires. Les poursuites contre les journalistes Farzana Rupa et Shakil Ahmed sont très inquiétantes. Ils doivent être libérés et protégés. À tout le moins, les autorités doivent leur garantir une justice pleine et entière et veiller à ne pas répéter les méthodes de l’ancien pouvoir contre les professionnels des médias.
Les violences contre les journalistes se multiplient
Après la répression des manifestations anti-gouvernement, qui a fait des centaines de morts, dont cinq journalistes tombés sous les balles des forces de l’ordre, les professionnels de l’information font désormais face à la colère de manifestants, non identifiés pour la plupart, ou non affiliés politiquement.
Le 19 août, un groupe de manifestants armés de bâtons a attaqué le siège du groupe East-West Media, à Dacca, qui héberge les rédactions des journaux Kaler Kanto et Bangladesh Pratidin, de la publication anglophone The Daily Sun, de l’agence de presse privée bangalnews24.com, des chaînes News24 etT-Sports, ainsi que de la radio Capital FM.
Dans le nord-est du pays, deux journalistes de la chaîne de télévision Somoy TV, le reporter Avijeet Banik Apu et le cameraman Naushad Ahmed Chowdhury, ont également été agressés par un groupe de manifestants étudiants alors qu’ils couvraient une manifestation devant un lycée dans la ville de Sylhet le 17 août.
Le 15 août, deux envoyées spéciales étrangères, dont une journaliste indienne de France 24, ont été prises à partie par une foule de manifestants à Dacca et contraintes de supprimer les fichiers vidéo de leurs caméras, selon le témoignage de l’une d’elles recueilli par RSF. Deux jours plus tôt, le 13 août, Moniruzzaman Monir, le correspondant du quotidien Desh Rupantor à Narsingdi, dans le centre du pays, a été violemment agressé, à la gare, par un groupe d’assaillants munis de machettes et blessé par balles, en raison de son article sur des pillages récents. À Chattogram, dans le sud-est du Bangladesh, vingt journalistes ont été blessés le 5 août au cours d’une attaque contre le club local de la presse.
Déjà harcelés sous le règne de l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina, les journalistes bangladais ont vu leur pays chuter, entre 2023 et 2024, de la 163e à la 165e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.