Toplum TV, nouvelle victime de la répression contre les journalistes en Azerbaïdjan
Cinq journalistes de la chaîne d’information YouTube Toplum TV risquent entre cinq et huit ans de prison en Azerbaïdjan. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces énièmes arrestations sous des charges factices de “contrebande de devises étrangères” et demande la libération immédiate de ces journalistes, qui font un travail d’intérêt public en informant sur la corruption.
Les journalistes de la chaîne YouTube Toplum TV sont les dernières victimes du harcèlement d’État contre les médias indépendants en Azerbaïdjan. Son directeur Alasgar Mammadli, chez qui la police affirme avoir trouvé 7 200 euros en liquide, a vu sa détention provisoire reconduite le 15 mars 2024 pour au moins quatre mois, alors qu’il souffre d’un début de cancer exigeant des soins réguliers et est détenu depuis le 8 mars. Son avocat a déposé le 25 mars dernier un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, déclarant abusif son maintien en détention.
Les journalistes Ilkin Amrakhov et Mushvig Jabbarov sont également derrière les barreaux depuis le raid de la police dans les locaux de Toplum TV le 6 mars. Relâchés sous contrôle policier, Elmir Abbasov et Farid Ismailov, chez qui la police aurait retrouvé 3 100 euros en liquide, risquent eux aussi entre cinq et huit ans de prison pour “contrebande de devises étrangères”. Un prétexte bien connu, déjà utilisé en novembre 2023 contre les journalistes d’Abzas Media, qui accusent les forces de l’ordre d’avoir délibérément placé l’argent afin de justifier l’arrestation.
“L’objectif du pouvoir est clair : verrouiller la société civile et broyer toute voix dissidente. Après avoir anéanti toute forme de pluralisme politique, le Président Ilham Aliyev met les médias indépendants au pas du discours officiel. RSF appelle les partenaires de l’Azerbaïdjan à arrêter de fermer les yeux sur la dégradation aiguë de la liberté de la presse dans le pays et à agir en conséquence.
Des enquêtes encombrantes sur les élites corrompues
L’intervention de la police dans les bureaux de Toplum TV, le 6 mars, s’est déroulée quelques heures seulement après la diffusion d’un reportage de la télévision allemande SWR sur la corruption dans le secteur gazier et pétrolier d’Azerbaïdjan, dans lequel apparaît la rédactrice en chef du média, Khadija Ismailova. Déjà emprisonnée en 2014 pendant plus d’un an et demi à cause de ses investigations, elle était absente de la rédaction et n’a pas été arrêtée, mais elle a subi plusieurs interrogatoires musclés et a été interdite de quitter l’Azerbaïdjan. Après le raid, au moins trois autres personnes liées à Toplum TV, des employés non journalistes, ont été arrêtées. Pour avoir partagé une vidéo de l’arrestation, Aydin Aliyev, le beau-frère du directeur Alasgar Mammadli, a été licencié par la clinique dans laquelle il travaille comme radiologue.
Le reportage de SWR met en lumière la corruption endémique du secteur gazier et pétrolier national, à un moment où l’Union européenne s’allie à Bakou afin de doubler d’ici à 2027 ses achats de gaz azerbaïdjanais, en remplacement du gaz russe. Il met également en cause plusieurs pontes du gaz azerbaïdjanais dans l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, journaliste maltaise tuée dans l’explosion de sa voiture en 2017. Ces sujets contrarient les efforts du Président autoritaire Ilham Aliyev pour promouvoir à l’étranger une image respectable et attractive de l’Azerbaïdjan.
Le pouvoir d’Ilham Aliyev tout puissant
La répression des médias en Azerbaïdjan n’en finit plus : après la signature d’une loi très controversée sur les médias en 2022, l’État assume sa dérive autoritaire, en violation de sa propre Constitution et des traités internationaux qu’il a ratifiés. Réélu en février 2024 au terme d’un vote joué d’avance et émaillé d’irrégularités, Ilham Aliyev jouit d’une popularité sans précédent après avoir remporté la guerre contre les autorités autoproclamées du Haut-Karabakh, enclave séparatiste peuplée d’Arméniens.
Toplum TV est le troisième média indépendant victime du pouvoir d’Ilham Aliyev en six mois. En novembre dernier, une partie de l’équipe éditoriale du média d’investigation Abzas Media a été arrêtée, puis celle de la chaîne YouTube Kanal 13 en décembre. Deux autres journalistes, de l’agence de presse Turan Agentliyi et du site d’information JAMNews, ont également été arrêtés. Des campagnes de diffamation sont par ailleurs organisées par les cercles de pouvoir, assurant que les médias indépendants, de même que ceux qui les défendent comme RSF, sont des organes d’influence des États-Unis, de la France, et de l’Occident, emplis “d’azerbaïdjanophobie”.
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