TikTok aux États-Unis, l'urgence d'un cadre juridique indépendant du politique
Le Congrès américain a décidé que l’entreprise chinoise ByteDance, la maison mère de TikTok, n’avait plus droit de cité sur le territoire national, au nom de la protection de ses citoyens contre les “adversaires étrangers”. Pour Reporters sans frontières (RSF), il y a urgence à mettre en place un cadre juridique indépendant pour traiter de la question de l’ouverture de l’espace informationnel.
Quitter les États-Unis ou quitter les États-Unis, voici le seul choix laissé à ByteDance. Le Congrès américain a voté, le 23 avril, la loi sur la protection des Américains contre les applications contrôlées par des adversaires étrangers (Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act), qui interdit de “distribuer, maintenir ou mettre à jour” une application contrôlée par un “pays adversaire étranger”, soit la Corée du Nord, la Russie, l’Iran ou la Chine. Le texte vise expressément l’entreprise chinoise et sa plateforme reine, TikTok. Tous les produits de la multinationale chinoise seront bannis des appareils américains, à moins que ByteDance ne vende son application dans l’année, ou que la loi ne soit contestée devant la cour d’appel du district de Columbia.
Pour RSF, cette nouvelle tentative américaine de chasser le réseau social chinois de son territoire pose un problème de fond. Le droit à l’information des citoyens est totalement négligé. Le pouvoir politique est trop sensible aux tensions géopolitiques pour prendre seul la décision de fermer une application utilisée par 148 millions d’Américains. Cette situation souligne la nécessité d’un cadre juridique général clair sur les modalités d’accès d’un espace informationnel démocratique aux plateformes étrangères.
“Soyons clairs : TikTok n’est pas un modèle d’accès à l’information fiable et son algorithme de recommandation, sûrement l’un des plus addictifs au monde, est un véritable catalyseur de désinformation – or, cette question est totalement exclue d’un texte qui repose uniquement sur le fait que ByteDance serait contrôlé par la Chine. Les tensions entre les États-Unis et la Chine n’ont pas à imposer leur tempo dans la régulation de l’espace informationnel. Cette question sensible doit être traitée dans un cadre juridique indépendant du pouvoir politique. Nous appelons les États-Unis à le développer en adoptant le système de protection des espaces informationnels démocratiques conçu par RSF, qui pose la question de l’appartenance des plateformes à des régimes autoritaires sans négliger le droit des citoyens d’accéder à l’information.
Un cadre juridique indépendant pour éviter les guerres de l’information
Ce système de protection des espaces informationnels permet de prévenir les guerres de l’information entre les espaces ouverts, comme ceux des démocraties, et les espaces fermés comme celui de la Chine, qui le contrôle d’une main de fer tout en diffusant ses contenus dans les pays étrangers. Les démocraties, elles, restent vulnérables en raison de l’ouverture du marché de l’information alors que les médias ou réseaux sociaux implantés dans ces pays sont bloqués, particulièrement en Chine.
Le cadre juridique élaboré par RSF intègre un principe de réciprocité, visant à encourager l'ouverture et à soutenir l'indépendance, le pluralisme et la fiabilité de l'information dans les deux pays. Son ambition est d’encadrer plus efficacement l’espace informationnel façonné par toutes les plateformes, et pas seulement les applications chinoises, qui sont loin d’être les seules à menacer l’intégrité de l’information. Utilisé à bon escient, ce cadre pourrait offrir aux États-Unis un moyen de pression pour inciter le gouvernement chinois à assouplir son contrôle sur son propre espace informationnel. Ce serait là une sortie de crise par le haut, remettant au cœur du débat la protection du droit à l’information des citoyens.