Sri Lanka : à l’approche de l’élection présidentielle, RSF s’alarme des atteintes continues à la liberté d’informer
Arrestation de journalistes, loi antiterroriste détournée, nouvelle loi de censure… Les professionnels des médias, notamment ceux de la minorité tamoule, travaillent dans un climat d’insécurité. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de l’état inquiétant de la liberté de la presse dans le pays, alors que le premier scrutin depuis la révolte populaire de 2022 se tiendra ce 21 septembre.
Depuis le début de l’année 2024, au moins deux journalistes ont été arrêtés dans l’exercice de leur métier. Interpellé le 5 mars à son domicile dans la province de Sabaragamuwa au sud du pays, le propriétaire et rédacteur en chef du site d’information Ravana Lanka News, G.P. Nissanka, est resté derrière les barreaux jusqu’au 20 mars, après avoir révélé des faits présumés de corruption impliquant un haut gradé de l’armée. Le 6 mars, le journaliste indépendant Bimal Ruhunage, accusé d’avoir filmé dans la rue sans autorisation une séquence publiée sur le site d’information Boston Lanka, a été arrêté dans la région de Kurunegala et placé en détention provisoire jusqu’au 11 mars.
Habituées de longue date au recours à la législation antiterroriste pour faire taire les journalistes, les autorités se sont par ailleurs dernièrement dotées d’un nouvel outil de régulation propice à la censure, la loi sur la sécurité en ligne (Online Safety Act), votée en janvier 2024, qui confère des pouvoirs étendus à une commission nommée par le Président pour évaluer ce qui constitue des « déclarations interdites faites en ligne », d’ordonner leur suppression et de sanctionner les auteurs. Le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies mettait en garde l’an dernier contre “de nombreuses sections du projet de loi” qui “contiennent des termes et des définitions d'infractions vagues qui laissent une grande place à l'interprétation arbitraire et subjective”.
“RSF suit avec inquiétude le déroulement de cette période pré-électorale, moment démocratique majeur au cours duquel les journalistes remplissent une mission cruciale d’information. La plupart des journalistes s'autocensurent car leur sécurité n'est pas garantie, en particulier ceux issus des minorités tamoules et musulmanes. RSF appelle les candidats à la présidence à présenter un plan adéquat pour protéger les journalistes et à rétablir une liberté de la presse effective dans le pays. Pour cela, ils doivent notamment s’engager à abroger la loi liberticide sur la sécurité en ligne (Online Safety Act) et la loi sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism Act, PTA), utilisées contre les journalistes.
Journalistes tamouls accusés de terrorisme
Un rapport du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies sur la situation au Sri Lanka depuis octobre 2022, décrit “une tendance persistante à la surveillance, à l'intimidation et au harcèlement des journalistes et des acteurs de la société civile, en particulier ceux qui travaillent sur les disparitions forcées, les saisies de terres, les questions environnementales et avec les anciens combattants dans le nord et l'est du Sri Lanka”.
Le rapport souligne que la loi antiterroriste (PTA) demeure “souvent utilisée pour arrêter, détenir et poursuivre les journalistes”. Dileep Amuthan est le dernier professionnel des médias en date victime de cette législation. En novembre 2023, le journaliste du quotidien tamoul Uthayan a été interrogé pendant quatre heures au siège de la division d'enquête antiterroriste (CTID), en raison d’un article publié en 2020 sur une journée de commémoration tamoule.
Les journalistes appartenant à cette minorité ethnique sont régulièrement victimes de ce harcèlement judiciaire. En septembre 2022, deux reporters tamouls, Balasingham Krishnakumar, journaliste indépendant et président de la Batticaloa District Tamil Journalists Association, et Selvakumar Nilanthan, rattaché au site d’information Tamil Guardian, avaient été convoqués au CTID car soupçonnés de “terrorisme”, en raison de liens supposés avec l’organisation indépendantiste des Tigres tamouls, impliquée dans la guerre civile qui a déchiré le pays de 1983 à 2009. Cette convocation faisait suite, dans le cas de Selvakumar Nilanthan, à d’autres interrogatoires subis à partir de 2020. Le journaliste Murugupillai Kokulathasan a, quant à lui, été incarcéré quinze mois, pour le même motif entre novembre 2020 et mars 2022.
Entre 2023 et 2024, le Sri Lanka a chuté de la 135e à la 150e place, sur 180 pays, au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.