Soudan : un dictateur est parti, mais la politique de prédation des médias lui survit
Deux mois et demi après la chute d’Omar el-Béchir et alors que les négociations concernant la formation d’un conseil de transition s’enlisent depuis plusieurs semaines, Reporters sans frontières (RSF) demande au régime militaire actuellement aux commandes du Soudan de rompre avec la censure et le musèlement des médias caractéristiques de l’ancien régime.
Omar el-Béchir a été renversé le 11 avril dernier, mais sa politique de répression contre la presse indépendante continue. Après une légère accalmie, les atteintes à la liberté de la presse ont repris de plus belle ces dernières semaines. Celles et ceux qui critiquent les autorités militaires de transition s’exposent presque systématiquement à la censure ou à des intimidations. Le bureau de la chaîne qatarie Al Jazeera a été fermé sans préavis et sans motif le 30 mai dernier. Ces dernières semaines, plusieurs journalistes ont également été arrêtés et entendus par les services de renseignement avant d’être libérés. C’est le cas du journaliste Mohamed Latif, directeur de Teeba Press, une organisation qui assure des formations de journalistes, convoqué tous les jours depuis le 15 juin. “Au début, il a été interrogé sur la situation politique au Soudan et les activités de son organisation, témoigne l’un de ses confrères joint par RSF. Désormais, il y passe ses journées sans qu’on lui pose la moindre question”. Enfin, l’internet mobile a été complètement coupé depuis le 10 juin.
“Les autorités militaires de transition s’inscrivent désormais dans la droite ligne du système de prédation contre les médias qui prévalait sous la dictature d’Omar el-Béchir et qui vaut au Soudan d’occuper les bas-fonds du Classement mondial de la liberté de la presse, déplore Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Cette politique va à l’encontre des aspirations des Soudanais a un débat public ouvert dans lequel les journalistes peuvent librement établir les faits et critiquer les autorités. Aujourd’hui, la restauration complète de l’accès à internet sur l’ensemble du territoire, la fin des arrestations arbitraires de journaliste et de la politique de censure mise en oeuvre par les services de sécurité sont des préalables indispensables à la réussite du processus de transition”.
Une milice à la manoeuvre
Les forces de soutien rapide (RSF), un groupe paramilitaire composé à l’origine de miliciens arabes du Darfour, sont notamment à l’origine de la répression du 3 juin au cours de laquelle au moins 128 manifestants ont été tués et plusieurs journalistes blessés. Les miliciens qui sont commandés par le général “Hemeidti”, l’actuel vice-président du conseil militaire, ont notamment interdit l’accès à la télévision d’Etat, Sudan TV, d’au moins six journalistes accusés de soutenir les manifestants. Le directeur de la télévision d’Etat a été licencié et la couverture des manifestations comme des activités des RSF sont désormais interdites. “C’est le signe du retour aux pratiques de l’ancien régime. Les militaires placent leurs hommes dans les grands médias publics pour discréditer les voix dissidentes et orienter le débat public contre les manifestants”, témoigne un journaliste sous couvert d’anonymat.
Le Soudan occupe la 175e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.