Secret des sources : RSF s’insurge contre les descentes de police dans les médias
Plusieurs journalistes enquêtant sur des affaires jugées « sensibles » ont vu ces dernières semaines leurs matériaux d’enquête saisis par la police, sur ordre de magistrats. L’objectif ? Obtenir l’origine et l’identité des sources. La loi italienne permettant aux journalistes de protéger leurs informateurs, les magistrats contournent le problème en intimant au personnel dirigeant ou administratif des médias concernés - pas les enquêteurs -, de livrer aux policiers tout ce qui a pu être servir aux fins du reportage. Reporters sans frontières (RSF) s’indigne de voir la justice italienne encourager une telle violation du secret des sources.
Quand une unité de la DIGOS (division des investigations générales et opérations spéciales de la police nationale) a fait une descente dans la rédaction de l’émission Piazza Pulita, de la La7, le 12 janvier dernier, ce sont des membres du personnel du média qui ont été sommés de livrer aux agents des films vidéo et autres matériaux "bruts" d’investigation. Pas les journalistes. La perquisition avait été ordonnée par le Parquet de Rome, à la suite d’une demande du chef de la police italienne, Alessandro Pansa.
Les matériaux saisis avaient servi à l’élaboration du reportage « Alerte terroriste : les forces de l’ordre sont-elles équipées ? », consacré au travail des policiers italiens dans la lutte anti-terroriste, et diffusé en novembre 2015, après les attentats de Paris. Des policiers, sous couvert d’anonymat, y dénonçaient la vétusté de leurs équipements (casques, gilets pare-balles désuets, matériel de défense défectueux...), et de fait, l’état de « vulnérabilité » de la profession et du pays face à la menace terroriste. Après avoir séquestré et copié tous les films vidéo, rushs inclus, qui avaient servi au documentaire, la police a retourné le matériel à la rédaction.
Selon la loi 69, du 3 février 1963, les journalistes ont la possibilité refuser de livrer leurs sources, si ces dernières demandent à être protégées. Mais il y a une faille, et de taille : cette loi s’applique uniquement aux journalistes et pas aux personnels administratifs ou aux dirigeants de médias. « Il y a ceux qui violent la loi, et ceux qui contournent les normes. Il est vraiment singulier que le Parquet de Rome s’empare d’informations que les journalistes, dans le respect de la loi, peuvent refuser de révéler », publiait dans un communiqué, le jour même de la descente, l’Ordre national des journalistes italien.
« La police affirme que les agents interviewés sous couvert d’anonymat ont menti, et montré aux journalistes des équipements n’étant plus utilisés aujourd’hui. Quelle que soit la réalité des choses, rien ne justifie de tels procédés pour contourner le principe du secret des sources. », remarque Alexandra Geneste, chef du bureau UE-Balkans de RSF à Bruxelles. L’émission-débat Ballaro, de la RAI, a elle aussi eu la mauvaise idée de diffuser fin novembre 2015 un reportage sur le même sujet, réalisé par une autre équipe de journalistes. La rédaction a été sommée de livrer tous les matériaux « bruts » de l’investigation aux policiers venus perquisitionner de la même manière.
« Concrètement, ce sont deux sources policières, deux hommes dont les journalistes avaient pris soin de protéger l’identité, qui ont été ni plus ni moins « livrées » à la Police nationale, furieuse de voir sa réputation ternie par leurs témoignages. Il s’agit d’une atteinte grave à la liberté d’informer », insiste Alexandra Geneste.
Selon les avocats de La7, cette « façon brutale » de procéder est de plus en plus répandue. Dans certains cas, si le journaliste s'obstine à défendre ses sources, il peut être accusé de « faux témoignage ».
L’Italie est classée 73e sur 180 pays au Classement mondial pour la liberté de la presse 2015 de Reporters sans frontières.