Séismes en Turquie : RSF dénonce des sanctions inacceptables contre trois chaînes critiques

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel turc a sanctionné trois chaînes de télévision nationales pour leurs commentaires sur les récents séismes ayant touché le sud-est du pays. Reporters sans frontières (RSF) fustige une tentative d’intimidation destinée à étouffer les critiques envers le pouvoir.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel turc (RTÜK), dominé par les partis au pouvoir, a infligé le 22 février de fortes amendes aux chaînes nationales Halk TV, Tele1 et Fox TV qui avaient évoqué l’inefficacité du gouvernement et des pouvoirs publics à venir en aide à la population dans la région sinistrée par le tremblement de terre du 6 février. 

Une minorité de chaînes critiques payent le prix fort de ne pas avoir cherché à dissimuler l’ampleur de la tragédie et d’avoir mis en cause la responsabilité et l’insuffisance du pouvoir et des autorités locales dans la gestion de la catastrophe. Ces sanctions sont d’autant plus inacceptables qu’elles visent des médias qui ne font que faire entendre la voix d’une population privée de vivres ou de secours pendant de longues journées. Elles confirment aussi la soumission du Conseil supérieur de l’audiovisuel à un gouvernement affaibli par des critiques massives dues à son manque d’anticipation et à sa lente intervention.”

Erol Onderoglu
Représentant de RSF en Turquie

Tele1 à été condamnée à verser une amende équivalant à 5 % de son revenu publicitaire mensuel et sera interdite de diffuser l’émission incriminée à cinq reprises. En cause, un commentaire du fondateur de la chaîne Merdan Yanardag.  Lors de l’émission “18 minutes”, le journaliste  s’en est pris au pouvoir en place depuis plus de 20 ans et a dénoncé la corruption dans le secteur de la construction. Merdan Yanardag fait également l’objet d’une enquête judiciaire pour ces propos depuis le 7 février.  

De la même façon, la chaîne Halk TV (“Peuple”) a été sanctionnée à la suite de propos tenus par un député d’opposition du Parti des travailleurs de Turquie (TIP). “La responsabilité d’un État est de protéger ses citoyens dans des jours difficiles” a notamment déclaré Ahmet Sik, qui a estimé légitime la colère des sinistrés et “le droit des citoyens de se sentir hostile à l’État”, alors qu’il se trouvait le 11 février en zone sinistrée.

Enfin, Fox TV versera 3 % de son revenu publicitaire mensuel après la diffusion le 10 février de l’émission “Page du milieu”, durant laquelle un journaliste a relayé la rumeur selon laquelle l’Agence gouvernementale de secours contre les catastrophes (Afad) aurait refusé de distribuer des vivres au prétexte qu’ils avaient été transportés dans des cartons affichant une marque de bière. Même si l’information a été immédiatement démentie, la chaîne s’est vue sanctionnée. Le commentaire d’un autre journaliste rappelant qu’il avait fallu compter sur une société israélienne pour fournir “l’éclairage des villes par drone au moment du séisme” a également servi de motif pour la sanction. 

Dès le 6 février, le RTÜK avait menacé certaines chaînes pour leur ton critique. Okan Konuralp, membre du RTÜK et de l’opposition, encourageait au contraire les médias à faire leur travail librement. Deux mois auparavant, il avait dénoncé une pratique discriminatoire du RTÜK dans la gestion des dossiers de plaintes concernant le secteur audiovisuel et signalait que 75 % des amendes infligées en 2022 l’avaient été au dépend des sept principales chaînes critiques (Halk TV, Fox TV, Tele1, KRT, Habertürk TV, Flash TV et TGRT Haber). Pas moins de 85 % des médias nationaux en Turquie sont contrôlés par des cercles financiers proches du pouvoir. 

Le séisme du 6 février dernier, et ses répliques dans les jours qui ont suivi, ont fait au moins 44 000 morts, dont une trentaine de journalistes dans les régions d’Antioche, d’Adiyaman et de Kahramanmaras.

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