Russie : menacée de mort, une journaliste de Novaïa Gazeta agressée en Tchétchénie porte plainte
Après avoir été agressée dans un hôtel en Tchétchénie, la journaliste russe Elena Milachina, ciblée par de nouvelles menaces de mort, porte plainte. Alors que la police locale reste délibérément inactive, Reporters sans frontières (RSF) dénonce l’impunité des agresseurs et appelle Moscou à mener une enquête fédérale transparente et efficace.
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“Premier bourreau de Tchétchénie” et “killer” personnel de Ramzan Kadyrov, qui dirige d’une main de fer cette république autonome de Russie : c’est ainsi que se présente sur les réseaux sociaux l’auteure de l’une des dernières menaces de mort reçues par la journaliste Elena Milachina. Dans une lettre envoyée à sa rédaction le 13 février 2020, une semaine après son agression dans un hôtel de Grozny, “la tueuse” intime à la journaliste “d’oublier la Tchétchénie”.
La reporter du trihebdomadaire indépendant Novaïa Gazeta a porté plainte ce mardi 18 février auprès du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, à la fois pour les menaces et son agression. Jusqu’à présent, les autorités fédérales ont estimé ne pas être concernées. Cette affaire “n’est pas le problème du Kremlin” a expliqué le 10 février dernier le porte-parole du président russe Dmitri Peskov, mais “du ressort des forces de l’ordre régionales”. Et ce, en dépit de l’inactivité de la police locale. Les enquêteurs n’ont toujours pas demandé les enregistrements des 27 caméras de surveillance de l’hôtel Continent où Elena Milachina et l’avocate spécialiste des droits de l’homme Marina Doubrovina ont été attaquées, d’après la journaliste.
Jusqu’à présent, un agent de police s’est contenté de prendre des photos du sol de l’entrée de l'hôtel avec un appareil jetable. C’est là, dans la nuit du 6 au 7 février, que les deux femmes ont été jetées à terre et rouées de coups par une quinzaine d’assaillants. Ceux-ci les ont accusées “d'aider les wahhabites”. Elena Milachina s’apprêtait à couvrir le procès d’un blogueur ayant publié une vidéo sans commentaire, intitulée “Comment vivent Kadyrov et ses compagnons”.
Le lendemain, des chaînes de télévision locales ont relayé une campagne de propagande approuvant l’attaque, voire appelant au meurtre de la journaliste et de l’avocate. “Pour ce qu’elles font en Tchétchénie, il ne fallait pas seulement les agresser, mais aussi les tuer”, ont déclaré des personnes présentées comme de “simples habitants” sur les comptes Instagram de Chechnya Sevodnya, Grozny-inform et de la chaîne publique Grozny. Le 4 novembre 2019, le président tchétchène Ramzan Kadyrov avait lui-même visé les journalistes en appelant à “tuer, emprisonner, effrayer” les “propagateurs de rumeurs” sur la Tchétchénie.
“Cette impunité des violences et appels public au meurtre de journalistes est intolérable, estime la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, Jeanne Cavelier. RSF appelle les autorités russes à garantir la sécurité d’Elena Milachina, et de ses confrères particulièrement menacés par les autorités tchétchènes. La police locale bloque délibérément toute avancée de l’enquête sur son agression. Bien que république autonome, la Tchétchénie fait partie intégrante de la Fédération de Russie. Il incombe à Moscou la responsabilité de mener une enquête transparente et efficace sur ce territoire, pour respecter ses engagements internationaux.”
En vingt ans, cinq journalistes de Novaïa Gazeta ont été assassinés en toute impunité : Natalia Estemirova et Anastasia Babourova en 2009, Anna Politkovskaïa en 2006, Iouri Chtchekotchikhine en 2003 et Igor Domnikov en 2000. Ce média particulièrement meurtri a même été la cible en 2017 d’une “guerre sainte” déclarée par les autorités religieuses proches de Kadyrov, après la révélation des persécutions subies par les homosexuels dans la république.
Menaces contre le rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, Alexeï Venediktov, condamnation sans preuve de Jalaoudi Guériev, collaborateur du média indépendant Kavkazsky Ouzel, violente attaque d’un groupe de journalistes près de la frontière… Toute voix indépendante ou critique est prohibée en Tchétchénie, qui est devenu un véritable trou noir de l’information, avec la bénédiction de Moscou.
La Russie occupe la 149e place au Classement mondial de la liberté de la presse 2019 de RSF.