RSF soutient la rédaction de Forbes Russie, en lutte pour sauver son indépendance éditoriale
La censure d’un article de Forbes Russia témoigne à nouveau de la reprise en main des médias indépendants russes. Reporters sans frontières (RSF) apporte son soutien à la rédaction en lutte pour préserver son indépendance éditoriale.
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Quelle ne fut pas la surprise des journalistes de Forbes Russia en recevant le dernier numéro du mensuel fraîchement imprimé, le 25 juillet 2018 : un article de douze pages en avait entièrement disparu. Si les propriétaires du magazine avaient tenté de s’opposer à sa publication, l’article en question avait pourtant fini par être approuvé par le rédacteur en chef, mis en page et inclus dans le bon à tirer. Toujours disponible en ligne, il retraçait l’ascension et la chute de l’influent milliardaire Ziyavoudine Magomedov et de son frère, dont l’arrestation fin mars secoue toujours les milieux politico-financiers russes.
Choquée par cet acte de censure, la rédaction n’a pas tardé à réagir : arguant que le retrait inopiné de l’article violait la loi sur les médias, elle a saisi le parquet le 26 juillet. Quelques heures plus tard, le rédacteur en chef Nikolaï Mazourine était licencié et les journalistes n’avaient plus accès au site du magazine. Le 30 juillet, la rédaction a appelé à l’aide le groupe américain Forbes Media, qui conserve théoriquement un droit de regard sur les titres qui exploitent la marque à travers le monde. Ce dernier n’a pour l’heure pas officiellement réagi.
Cette crise ouverte confirme les inquiétudes suscitées par une loi de 2014 qui, en limitant drastiquement les investissements étrangers dans les médias, a favorisé la reprise en main de certains fleurons de la presse indépendante. Dès son adoption, Forbes Russia, propriété de l’investisseur allemand Axel Springer dont les investigations déplaisaient au pouvoir russe, a été vu comme l’une des principales cibles de cette loi.
Fin 2015, Axel Springer a été contraint de céder le magazine au groupe ACMG, propriété du magnat russe de la publicité et de la presse glamour Alexandre Fedotov. Ce dernier a rapidement annoncé que Forbes Russia était d’après lui “un peu trop politisé”. Le mensuel s’est mis à publier de plus en plus d’articles à caractère publicitaire. A partir du printemps 2017, Alexandre Fedotov a cherché à modifier la charte éditoriale, inspirée de celle de Forbes USA, pour pouvoir peser sur la ligne éditoriale. Le rédacteur en chef Nikolaï Ouskov, qui s’y refusait, a été licencié en juin 2018.
“Nous apportons tout notre soutien à la rédaction de Forbes Russia, en lutte pour sauver son indépendance éditoriale, déclare le responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Johann Bihr. La censure dont elle a été victime doit être considérée comme une violation patente de la loi sur les médias et un cas d’obstruction à l’activité professionnelle de journalistes. Nous demandons au groupe Forbes Media de mettre un coup d’arrêt aux ingérences d’Alexandre Fedotov dans la politique éditoriale du magazine, sans quoi le prestige international de la marque risque d’en être sérieusement amoindri.”
ACMG assure que l’article sur les frères Magomedov a été retiré pour en éliminer tout risque juridique. Mais si les juristes de Forbes Russia avaient dressé une liste de remarques, c’était à la demande expresse d’ACMG, et l’article avait bien été modifié pour en tenir compte avant d’être validé par le rédacteur en chef et envoyé pour impression. La firme des frères Magomedov a par ailleurs fait savoir qu’elle n’avait aucune intention de porter plainte contre le mensuel.
Fort de la solide réputation du magazine américain fondé en 1917, le groupe Forbes Media, détenu par des investisseurs hongkongais et la famille Forbes, gère une quinzaine de franchises internationales. La maison mère dispose en principe d’un droit de veto sur les décisions clé de ses franchisés, dont la nomination des rédacteurs en chef.
La Russie occupe la 148e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2018, établi par RSF.