Les journalistes qui couvrent des sujet sensibles comme la corruption ou le narcotrafic s’exposent entre autres à de violentes représailles ou à des menaces de la part de fonctionnaires ou de cartels.
Le 13 avril dernier, le corps de
Blas Olivo, directeur de presse de la
Junta Agroempresarial Dominicana (JAD) est retrouvé à 80 km au nord de Santo Domingo. Depuis, l’enquête avance à petit pas. Le 18 mai, les proches du journaliste ont organisé une manifestation pour exiger la résolution de l’enquête, tandis que le chef de la police nationale a assuré que l’arrestation des principaux suspects ne saurait tarder. Le 3 juin dernier, la police annonçait lors d’une conférence de presse que le journaliste avait été assassiné par des membres du groupe “Latin King” sur ordre de Rodriguez Almonte, déjà incarcéré et à qui on attribue plus d’une centaine d’homicides. Le 12 juin, Almonte est (étrangement) abattu par des policiers dans sa cellule de prison, privant l’enquête d’un témoin clé pour confirmer la thèse avancée et remonter la piste des commanditaires du crime.
Depuis le début de l’année, RSF a également répertorié deux agressions de journalistes par des représentants des forces de l’ordre ou de l’armée pendant un reportage. Le 27 mars,
Fausto Garcia est agressé par des membres de la direction nationale de contrôle des drogues (DNCD) alors qu’il essayait de filmer une action de l’agence antidrogue à Navarrete, province de Santiago (nord). Le 14 janvier, le caméraman
Eduard Gonzalez de
Telefuturo Canal 23 est lui attaqué par des membres de l’armée dominicaine alors qu’il filmait des incidents devant un bureau de la commission électorale dans la zone des Trianitos à Santo Domingo. Le point commun de ces agressions : empêcher une couverture journalistique jugée gênante.
“
Reporters sans frontières est très inquiète de la multiplication des exactions envers la presse et condamne toute forme de violence visant à censurer l’information ou à punir des journalistes qui cherchent seulement à exercer leur métier, déclare Claire San Filippo, responsable du bureau Amériques de RSF.
Les autorités dominicaines doivent mettre l’accent sur la lutte contre l’impunité des exactions commises contre les journalistes, et montrer l’exemple en s’avançant davantage sur la route de la dépénalisation des délits de presse entamée en 2012.”
Campagne de diffamation
Les journalistes
Juan Bolivar Diaz,
Huchi Lora,
Amelia Deschamps et
Roberto Cavada ont dénoncé le 2 février une « campagne de haine » à leur encontre pour avoir manifesté leur soutien aux Haïtiens résidents dans le pays,
un thème sensible depuis l’adoption en mai 2014 de la loi 169/14 sur l’attribution de la nationalité dominicaine, jugée contraire à la Convention américaine des droits de l’homme par la CIDH en octobre. Ils ont porté plainte pour des menaces et humiliations publiques subies au cours des mois de janvier et février - planifiées selon eux par des membres du Mouvement patriotique indépendant.
Quelques jours plus tard, le journaliste
Salvador Holguín a dénoncé des menaces de mort à son encontre et l’existence d’une campagne sur les réseaux sociaux pour le discréditer. Ces pressions faisaient suite à une interview télévisée de l’ancien narcotrafiquant et ex-capitaine de l’armée Quirino Paulino Castillo. Ce dernier affirmait avoir prêté 200 millions de pesos à l’ex-président Leonel Fernandez (parti PLD). L’association du collège dominicain de journalistes (CDP) a d’ailleurs révélé en avril que la chaîne
TeleRadioAmerica Canal 45 avait interdit au journaliste de diffuser l’enregistrement de cette interview lors de son programme - selon lui sur ordres directs de proches de Fernandez. Ce n’est pas la première fois que des proches de Fernandez censurent ainsi un média : en 2010, les autorités ordonnaient la fermeture de la chaîne privée
Canal 53-Cibao TV Club après des propos critiques de son présentateur contre l’ancien président de la République.
Ces violences envers les journalistes sont d’autant plus préoccupantes que l’impunité reste prégnante dans l’élucidation de ces crimes et menaces. Et ce alors même que RSF constate des prises de position fortes d’organes judiciaires en faveur des acteurs de l’information : le 18 février, la Cour Suprême a rejeté les poursuites judiciaires pour diffamation et injures à l’encontre des journalistes
Hector Tineo,
Guillermo Tejeda et
Hector Herrera Cabral. Le 9 avril, un tribunal dominicain a invalidé le recours d’amparo constitutionnel - qui permet à tout individu de réclamer le respect de ses droits constitutionnels lorsqu’il se considère spolié - d’un haut fonctionnaire contre un journaliste de télévision. Un recours jugé abusif puisque l’objectif était d’obtenir un droit de réponse après des critiques du journaliste sur la gestion de l’Institut de développement et de crédit coopératif (Idecoop).
Des conditions de travail extrêmement précaires
A l’occasion de la journée du journaliste, le Collège dominicain de journalistes (CDP) a dressé
un bilan accablant de la qualité du journalisme dans le pays : la très forte concentration des médias dominicains serait à l’origine de l’insécurité professionnelle des journalistes et de l’autocensure. D’après le CDP, les acteurs de l’information doivent bien souvent choisir entre la pratique d’un journalisme d’investigation et la peur de perdre leur emploi ou le traitement de sujets légers qui ne risquent pas de heurter les intérêts des annonceurs.
Par ailleurs des progrès sont encore à faire du côté du droit, les journalistes restant exposés à des peines de prison et à de lourdes amendes en cas de condamnation pour délits de presse. La dépénalisation se réalise peu à peu depuis quelques années mais n’est pas encore acquise. Néanmoins, la protection des sources est garantie depuis la réforme constitutionnelle de 2009. En 2013, l’article 46 de
la loi 6132 sur l’expression et la diffusion de la pensée est déclaré inconstitutionnel par la Cour Suprême, marquant un pas important sur cette voie. Cet article énumérait en effet les professions pouvant être déclarées responsables de délit de presse.
La République dominicaine est classée 63ème sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse de RSF publié en février 2015.