RSF révèle les nouvelles “11 règles du journalisme” imposées par les Talibans : “la porte ouverte à la censure et l’arbitraire”
Lors d'une réunion avec les médias, les talibans viennent d’annoncer 11 règles que les journalistes afghans seront désormais contraints d’appliquer. Ce texte très inquiétant contient des dispositions imprécises, dangereuses susceptibles de servir à la persécution des journalistes.
Exercer en tant que journaliste en Afghanistan implique désormais de se conformer scrupuleusement à onze règles, annoncées aux médias le 19 septembre 2021 par le directeur par intérim du Centre gouvernemental des médias et de l’information (GMIC), Qari Mohammad Yousuf Ahmadi. A première vue, il peut s’agir de règles de bon aloi : obligation à respecter “la vérité”, à ne pas “déformer le contenu de l’information”. En réalité, c’est un texte extrêmement dangereux car il ouvre la porte à la censure et à la persécution.
“Ces nouvelles règles, édictées sans aucune concertation avec les journalistes, font froid dans le dos vu l’utilisation coercitive qui pourrait en être faite et augurent mal de l’avenir de l’indépendance et du pluralisme du journalisme en Afghanistan, déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Elles instaurent un cadre fondé sur des principes et méthodes contradictoires avec l’exercice du journalisme et qui laisse la place à des interprétations répressives, au lieu d’assurer un cadre protecteur pour permettre aux journalistes, notamment aux femmes, de reprendre leur travail dans de bonnes conditions. Ces règles ouvrent la voie à l’arbitraire et à la persécution. “
Les trois premiers points du réglement, qui exigent de “ne pas diffuser de sujets contraires à l’islam”, ou considérés comme “insultant pour des personnalités publiques” ou encore “ne respectant pas la vie privée”, sont largement inspirés de la loi de la presse nationale. La loi préexistante, qui prévoyait la mise en œuvre de ces principes, indiquait la nécessité de conformité aux normes internationales et notamment de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’absence de précision du nouveau texte ouvre la porte à la censure et à la répression. Car rien n'indique sur quelle base et qui pourra décréter que tel écrit ou propos est contraire à l’islam ou non respectueux de telle ou telle personnalité.
Trois points avertissent les journalistes de l’obligation de se conformer à certains principes entendus comme déontologiques : “les médias et les journalistes ne doivent pas tenter de déformer le contenu des informations”; “les journalistes doivent respecter les principes journalistiques lors de la préparation de leurs reportages”; “les médias doivent veiller à l'équilibre des reportages lors de leur diffusion”. L’absence de référence aux normes professionnelles reconnues permettent également le détournement ou l’interprétation arbitraire de ces principes.
Les 7e et 8e points favorisent un retour du contrôle de l’information, voire d’une forme de censure préalable qui n’avait plus été appliquée en Afghanistan depuis 20 ans. Ils indiquent que “les questions non confirmées par les officiels lors de la diffusion doivent être traitées avec soin” et que celles qui “ont un impact négatif sur l'esprit du public et qui peuvent affecter le moral des gens doivent être traitées avec soin pendant la diffusion”. Ce risque est renforcé par les deux dernières précisions (points 10 et 11) qui annoncent que le Centre gouvernemental des médias et de l’information (GMIC) a conçu “un formulaire spécifique pour faciliter la tâche des médias et des journalistes qui préparent leurs rapports conformément à la réglementation” et que dès à présent, les médias doivent préparer “des rapports détaillés en coordination avec le GMI)”, sans que l’on sache en quoi consistent ces rapports.
Le 9e point qui prévoit que “les médias doivent respecter le principe de neutralité pendant la diffusion et ne publier que la vérité ” peut être quant à lui sujet à de multiples interprétations, et contribue à exposer les journalistes à des mesures de rétorsion arbitraires.
Lors de la publication de l’édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse en avril dernier, l’Afghanistan se situait à la 122e place sur 180 pays.