RSF réclame la révision de la loi Dati sur la protection du secret des sources
La garde à vue de la journaliste d’investigation de Disclose Ariane Lavrilleux et la perquisition de son domicile ont montré les insuffisances du droit français sur la protection du secret des sources. Reporters sans frontières (RSF) réclame depuis longtemps une révision de la loi Dati de 2010.
Après 39 heures de garde à vue, Ariane Lavrilleux a pu quitter l’hôtel de police de Marseille, où elle a été interrogée dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour appropriation et divulgation du secret de la défense nationale. Cette affaire – la perquisition du domicile et la fouille de l’ordinateur de la journaliste sur décision d’un juge d’instruction, son interrogatoire par la DGSI pour obtenir des informations sur la source de ses révélations, et sa possible mise en examen à venir – est la démonstration de la faiblesse des garanties dont bénéficient les journalistes pour protéger leurs sources en droit français.
La loi sur la presse – amendée par la loi Dati – prévoit qu’un journaliste ne peut en aucun cas être obligé à révéler sa source. Elle prévoit également que les données mises sous scellées lors d’une perquisition ne peuvent être versées au dossier que sur autorisation d’un juge des libertés et de la détention. Elle permet néanmoins aux enquêteurs de porter atteinte “directement ou indirectement au secret des sources” si un “impératif prépondérant d'intérêt public” le justifie.
Les trois carences majeures de la loi Dati
- Cette notion de “l’impératif prépondérant” est particulièrement vague et permet aux enquêteurs d’abuser de leurs pouvoirs d’enquête pour identifier une source et empêcher la révélation d’informations dans l’intérêt du public.
- L’autorité qui met en œuvre l'atteinte au secret des sources en décide d'elle-même, sans autorisation ou validation d’une autorité indépendante extérieure à l’enquête.
- Une violation caractérisée du secret des sources n’est aujourd’hui sanctionnée que par la nullité de la procédure, mais l’auteur de cette violation échappe à toute responsabilité pénale.
RSF appelle à une révision du cadre légal de la protection du secret des sources. La loi sur la liberté de la presse (“loi de 1881”) devrait prévoir des garanties beaucoup plus strictes pour assurer que les journalistes puissent effectivement protéger l’identité de leurs informateurs dans leurs enquête sur des sujets d’intérêt général. Cela afin de préserver ce droit des journalistes, “pierre angulaire de la liberté de la presse” selon la Cour européenne des droits de l’homme et condition essentielle à leur travail d’enquête.
Les recommandations de RSF
- L'exception de “l’impératif prépondérant d’intérêt public” devrait être supprimée pour être remplacée par une disposition plus restreinte et précise. L’atteinte au secret des sources ne devrait être possible que pour permettre la prévention d’infractions particulièrement graves, listées précisément.
- Dans le cadre d’un champ d’exception plus restreint, l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention devrait être requise.
- Le champ des bénéficiaires de la protection devrait être élargi pour inclure non seulement les journalistes mais également l’ensemble des contributeurs aux enquêtes journalistiques, notamment les collaborateurs d’une rédaction, ainsi que les auteurs de livres d’enquête ou les documentaristes.
- La violation abusive du secret des sources devrait être sanctionnée. Un délit spécifique devrait être inscrit dans la loi.
Par ailleurs,
- Les lois sur le secret défense devraient être révisées pour prévoir que ne peuvent être sanctionnés de la violation d’un secret que ceux qui y sont tenus (militaires, agents du renseignement, etc.), et en aucun cas ceux qui le révèlent au public dans le cadre de leur mission d’information.
- Les délits de recel (du secret professionnel, du secret de l’enquête ou de l’instruction) devraient être abrogés pour les journalistes dans l’exercice de leur activité.
La loi Bloche de 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias prévoyait, dans sa version adoptée par le Parlement, une réforme de la loi Dati qui apportait de réelles avancées. Le Conseil constitutionnel avait censuré la réforme proposée, avant tout du fait de considérations répressives. Une décision que RSF avait considéré être “une très mauvaise nouvelle pour tous les journalistes qui enquêtent sur des affaires sensibles.”