RSF met en garde le gouvernement pakistanais contre la criminalisation des commentaires sur l’armée
Le gouvernement s’apprête à proposer l’adoption d'une nouvelle infraction relative à la critique de l’armée, à la formulation extrêmement vague et aux conséquences potentiellement désastreuses. Dans l’actuel contexte de pré-campagne électorale, Reporters sans frontières (RSF) enjoint le cabinet du Premier ministre à abandonner immédiatement ce texte, qui fait peser de sérieuses menaces sur le libre exercice du journalisme.
Cinq ans de prison pour un simple commentaire sur l’armée… C’est le prix que les journalistes devront désormais payer, selon un projet d’amendement que le gouvernement fédéral s’apprête à présenter devant le Parlement.
Le texte, dont RSF a pu consulter une copie, entend modifier le Code pénal en créant un nouveau type d’infraction : selon ce nouvel article n°505-A, “quiconque [...] diffuse des informations dans l'intention de critiquer ou de se moquer des forces armées ou du pouvoir judiciaire” risquera désormais une peine de cinq ans de réclusion criminelle et/ou une amende d’un million de roupies (environ 3 400 euros).
Pouvoir exorbitant
La procédure pénale serait elle aussi sérieusement affectée par ce nouvel article : tout justiciable visé par ce chef d’accusation pourra être arrêté par la police sans mandat et, en cas d’incarcération, il sera privé de toute possibilité de libération sous caution ou de règlement à l’amiable au civil.
“Nous appelons le Premier ministre Shehbaz Sharif à abandonner immédiatement ce projet d’amendement, qui pose problème sur tous les plans. Sur le fond, il crée une infraction à la formulation extrêmement vague, qui octroie un pouvoir de police administrative exorbitant contre les journalistes, et dont le seul but est clairement d’interdire toute forme de commentaire sur l’institution militaire. Sur la forme, le calendrier ne saurait être pire : des élections générales absolument décisives sont prévues au Pakistan dans les prochains mois, et l’adoption d’un tel amendement dans ce contexte constituerait une sérieuse entrave dans l’exercice démocratique.
L’arsenal législatif pakistanais est déjà largement équipé pour punir le délit de diffamation. Sur le plan civil, une ordonnance de 2002 prévoit par exemple qu’il soit susceptible d'être jugé sans même que le plaignant ait à prouver qu’il a subi des dommages particuliers.
Sur le plan pénal, les articles 499 et 505 du Code criminel définissent le champ de la diffamation et prévoient une peine allant jusqu’à sept ans de prison pour punir les cas de “déclaration conduisant à un méfait public”.
Effet dissuasif
Interrogé par RSF, le spécialiste du droit des médias Muhammad Aftab Alam, directeur de l’Institut pour la recherche, le plaidoyer et le développement, ne se fait guère d’illusion sur les intentions du gouvernement :
“Ce projet de loi fait vraisemblablement partie d’une vaste campagne visant à criminaliser plus encore la diffamation et, in fine, la liberté d’expression, estime-t-il. Cette loi, si elle est adoptée, peut avoir un effet dissuasif sur la liberté journalistique et, plus généralement, sur la liberté d’expression dans le pays.”
À Islamabad, les gouvernements successifs tentent régulièrement de durcir les dispositifs de répression de toute forme de critique de l’armée – souvent vue comme “faiseuse de rois” dans la vie politique pakistanaise. En 2021, le cabinet de l’ancien Premier ministre Imran Khan avait présenté au Parlement un texte prévoyant une peine de deux ans de réclusion criminelle contre quiconque “se moquerait” des forces armées. Le projet de loi avait finalement été rejeté par la chambre.