RSF lance un appel à Ankara pour la protection des journalistes syriens réfugiés en Turquie
Reporters sans frontières (RSF) s'alarme du renvoi en Syrie de plusieurs journalistes réfugiés en Turquie depuis juin 2019. L'organisation craint une multiplication des expulsions après le 20 août, date à laquelle expire le délai laissé aux réfugiés syriens d'Istanbul pour régulariser leur situation. Dans un courrier aux autorités turques, RSF leur demande de respecter le principe du non-refoulement et de protéger ces journalistes, pour qui le retour en Syrie est souvent un arrêt de mort.
Des centaines de journalistes syriens pensaient avoir trouvé refuge en Turquie ces dernières années, mais cette protection s’avère de plus en plus précaire. Reporters sans frontières (RSF) révèle que plusieurs d’entre eux ont été contraints à des “retours forcés” vers la Syrie, où ils risquent d’être arrêtés par les autorités ou de subir les exactions de divers groupes armés. Dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur turc Süleyman Soylu, RSF demande aux autorités de mettre un terme à ces pratiques et de ne pas exposer les journalistes réfugiés dans le pays aux graves menaces qu’entraînerait leur retour contraint en Syrie.
“Le retour forcé des journalistes réfugiés vers des zones dangereuses est contraire au principe de non-refoulement, un principe de droit international coutumier contraignant pour tous les États, déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Après avoir accueilli une grande part des réfugiés syriens ces dernières années, la Turquie doit continuer à garantir leur sécurité et celle des journalistes qui se trouvent parmi eux.”
D’après les informations recueillies, le journaliste syrien Hussein Al-Taweel (Al-Jisr TV) a été arrêté en juin à Reyhanli, non loin de la frontière, et renvoyé en Syrie alors qu’il essayait de rejoindre une région à même de lui octroyer une carte de protection provisoire (kimlik). Un autre, Yaroub Al-Dalie (The Levant News), a été arrêté et expulsé le 9 juillet alors qu’il était sur le point d’obtenir un kimlik, puis battu et refoulé par l’armée un mois plus tard alors qu’il tentait à nouveau de franchir la frontière. Le journaliste a fait l’objet de menaces en Syrie dès son retour, et s’est vu contraint de se déplacer dans une autre ville pour échapper aux représailles. Enfin, Obaida Al-Omar (Horrya.net) a été arrêté à Antakya le 26 juillet alors qu’il disposait d’un kimlik, avant d’être forcé de signer une déclaration de retour volontaire dont il ne comprenait pas le contenu.
“Retours volontaires” sous la menace
Les autorités turques nient tout retour forcé et affirment qu’elles ne font qu’aider ceux qui le souhaitent à rejoindre des “zones sûres”. Les témoignages collectés par RSF dépeignent cependant une réalité plus sombre. Ces dernières semaines, de nombreux journalistes dotés d’un kimlik ne parviennent plus à obtenir son renouvellement, ce qui les place en situation irrégulière. De plus en plus de réfugiés, interpellés pour un contrôle d’identité, sont menacés d’enfermement ou soumis à des pressions jusqu’à ce qu’ils signent une demande de “retour volontaire”, sans toujours comprendre de quoi il s’agit. Ils peuvent être renvoyés vers des zones où les combats font rage, comme celle d’Idlib.
Une nouvelle directive du gouverneur d’Istanbul accroît les inquiétudes : elle impose aux réfugiés syriens présents dans la métropole l’obligation de régulariser leur situation avant le 20 août, sous peine d’en être chassés. L’Association des journalistes syriens en Turquie estime à plus de 300 le nombre de journalistes concernés. Si leur rédaction et parfois leur famille se trouvent à Istanbul, nombre d’entre eux sont officiellement tenus de vivre dans une autre région. Au vu des récents précédents, ils craignent que leur transfert ne se solde par un retour forcé en Syrie.
Les médias en exil sous pression
A cette crainte s’ajoute celle de perdre leur emploi : la grande majorité des médias syriens de Turquie sont installés à Istanbul. Début août, Watan FM, Orient TV, Aram News et Bisan FM ont enjoint leurs employés à régulariser leur situation sous peine d’être licenciés.
Ces médias sont eux-mêmes sous pression : selon le fondateur de l’Association des journalistes syriens en Turquie, Firas Diba, la loi turque ne les autorise à accorder qu’un permis de travail à un employé étranger pour cinq employés turcs. Une condition quasi-impossible à remplir pour des médias arabophones, qui se retrouvent ainsi poussés dans l’illégalité.
RSF préconise de prendre en compte la spécificité des Syriens dans la législation en leur accordant davantage de temps dans les procédures administratives, en leur délivrant des cartes de presse temporaires pour faciliter les déplacements entre provinces et en exemptant les médias syriens de l’obligation d’employer cinq Turcs pour un étranger.
La Turquie et la Syrie occupent respectivement la 157e et la 174e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.