RSF exhorte les Etats européens à renforcer leur soutien au journalisme russe indépendant, résilient mais fragilisé par l’exil selon un nouveau rapport
Depuis le début de la guerre russe en Ukraine, entre 1 500 et 1 800 journalistes russes ont été forcés à l’exil. Un rapport du groupe de réflexion pour professionnels des médias The Fix et du JX Fund, fonds de soutien pour le journalisme en exil créé par Reporters sans frontières (RSF), décrit leur capacité de résilience mais aussi les principaux défis posés par la relocalisation des rédactions, essentiellement en Europe. RSF exhorte les États européens à renforcer leur soutien au journalisme russe indépendant.
Les médias indépendants russes, à l’instar de TV Rain, Holod ou 7x7, ont survécu au choc de l’exil forcé. Les défis restent toutefois nombreux pour eux, et les 90 autres sites et chaînes d’information YouTube ou Telegram, qu’a analysé un rapport publié le 5 décembre par The Fix et le JX Fund, fonds de soutien créé par RSF avec deux fondations allemandes, Rudolf Augstein et Schöpflin.
Au total, entre 1500 et 1800 journalistes ont quitté la Russie depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine le 24 février 2022 et la censure de guerre instaurée par le Kremlin. Ils se sont installés principalement à Berlin (Allemagne), à Tbilissi (Géorgie) et à Riga (Lettonie). Face à de nouvelles contraintes de production et de diffusion, les rédactions ont davantage investi YouTube et le format vidéo, ainsi que le journalisme d’investigation et la couverture de sujets liés à la décolonisation ou encore au dysfonctionnement étatique.
Et malgré cet exil, ces médias touchent, en termes d’audience, 6 à 9% de la population adulte en Russie, une “réussite retentissante”, selon le rapport. Leurs contenus sont lus, écoutés ou regardés par 2,7 à 3,9 millions de personnes en Russie. Ce chiffre pourrait atteindre jusqu’à 7,8 millions en prenant en compte les réseaux sociaux. Le site d’information Meduza, pour lequel RSF a créé des sites “miroirs” permettant de contourner la censure russe, figure en tête des médias indépendants les plus performants. Beaucoup de ces médias en exil “ continuent d'avoir des équipes sur le terrain [en Russie] et de produire des éclairages uniques à un moment où l'analyse de ce qui se passe en Russie est très rare - ils représentent un atout unique pour la communauté internationale”, soulignent les auteurs du rapport. Les médias régionaux en particulier, comme Baïkal People ou Pskovskaïa Goubernia, dont les équipes sont dispersées aujourd’hui, continuent de jouer un rôle primordial en couvrant des sujets difficilement accessibles pour la presse étrangère mais dont l’importance est vitale pour analyser la situation domestique russe.
Malgré cette résilience remarquable, le JX Fund alerte sur la multiplication des difficultés liées à l’exil pour les médias russes. Elles sont d’ordre financier, sécuritaire et logistique.
“Face à la propagande du Kremlin, le travail d’information des médias russes en exil est essentiel, et leur résilience exemplaire. Mais de nombreux obstacles menacent encore la survie de ce journalisme russe indépendant. RSF exhorte les Etats européens à le soutenir via la délivrance de visas de longue durée adaptés à la profession, une protection adaptée face aux services russes opérant sur leurs territoires et un soutien financier le temps de consolider leurs ressources.
Défis financier, sécuritaire et logistique
Le premier obstacle au travail des médias en exil, selon le rapport, est financier. La relocalisation des rédactions s’est matérialisée par des frais importants tant pour le coût du voyage que pour les procédures de visa ou pour les dépenses quotidiennes dans des pays où le niveau de vie est généralement supérieur à celui de la Russie. Entre 2021 et 2022, l’augmentation moyenne du budget des médias russes était de 64%, tandis que les sources de revenus dépendent principalement des dons.
La relocalisation comporte aussi un certain nombre de difficultés logistiques. Celle-ci dépend de la situation personnelle de chaque journaliste, comme une éventuelle double citoyenneté, la présence de famille à l’étranger ou encore le droit à l’obtention d’un visa de travail. Par conséquent, plusieurs médias se sont retrouvés avec des équipes dispersées dans différents pays.
45% des journalistes en exil menacés
Un autre défi, de taille, est d’ordre sécuritaire. Aujourd’hui, des menaces pèsent au quotidien sur 45% des journalistes exilés. Par exemple, ceux qui sont réfugiés en Arménie et au Kazakhstan risquent l’extradition lors de la mobilisation. Les services secrets russes continuent d’opérer dans la région “en relative impunité”. Intimidations, cyberharcèlement, voire tentatives d’assassinat… Les journalistes ne sont pas non plus à l’abri en Europe. En octobre 2022, l’ancienne journaliste de Novaïa Gazeta Elena Kostioutchenko a été empoisonnée en Allemagne.
La Russie figure dans la pire catégorie du Classement mondial de la liberté de la presse édité par RSF en 2023, pointant à la 164e place sur 180 pays. La désinformation et la propagande sont pratiquées à une échelle industrielle, y compris dans les territoires qu’elle occupe en Ukraine. La production d’informations libres sur l’armée est par exemple punie de 15 ans de prison depuis la loi adoptée le 4 mars 2022. La grande majorité des médias indépendants ont été bloqués dans le pays, désignés “agent de l’étranger”, “organisation indésirable” ou encore “organisation extrémiste”. En mars 2022, Instagram et Facebook ont été bannis et à partir de mars 2024 les VPNs seront bloqués.