RSF et des journalistes russes appellent la Big Tech à créer le groupe “des ingénieurs contre la dictature” afin d’empêcher la fermeture totale de l’espace informationnel russe en ligne
Alors que des autorités russes sont en pleins préparatifs de l'élection présidentielle de 2024, Reporters sans frontières (RSF) se joint à l’appel des journalistes et des médias indépendants russes aux grandes entreprises d’Internet pour créer un groupe de travail afin d’empêcher la fermeture totale de l’espace informationnel en ligne de la Russie. Cette initiative est soutenue par le prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov, journaliste et rédacteur en chef du quotidien russe Novaïa Gazeta.
Lire en russe / Читать на русском
À l’intention de :
Tim Cook, PDG d’Apple
Pavel Durov, PDG de Telegram
Neal Mohan, PDG de YouTube
Elon Musk, PDG de Twitter
Satya Nadella, PDG de Microsoft
Sundar Pichai, PDG de Google
Ryan Roslansky, PDG de LinkedIn
Mark Zuckerberg, PDG de Meta
Messieurs les dirigeants,
Nous, représentants de médias indépendants russes et de l’ONG internationale Reporters sans frontières (RSF), vous adressons cette lettre afin d’attirer votre attention sur l'hypothèse alarmante d’une fermeture totale de l’espace informationnel en ligne russe.
Afin de développer des solutions pour éviter que la Russie ne soit déconnectée du reste du monde, nous vous invitons à créer un groupe de travail “des ingénieurs contre la dictature”.
Les autorités russes se préparent à la réélection du président Vladimir Poutine en 2024. Dans ce contexte, elles vont devenir de plus en plus intolérantes à l’égard de tout discours contredisant la ligne officielle du Kremlin. Tous les médias indépendants ont déjà été éradiqués du pays. La plupart des journalistes indépendants ont été contraints à l’exil. En conséquence des lois anti-presse, les journalistes encore sur place sont condamnés à des peines de prison très lourdes – telle celle de 15 ans pour “désinformation” sur les forces armées russes.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, la plupart des grandes plateformes comme Facebook ou Instagram ont été bannies du réseau Internet. Jusqu’à présent, seules deux plateformes ont partiellement survécu à la purge. Telegram et YouTube sont, à ce jour, les seuls espaces dont les journalistes russes disposent encore pour tenter d’informer leurs concitoyens sur la réalité de la guerre menée en leur nom par Vladimir Poutine. À l’approche de la période électorale, nous soupçonnons fortement que ces deux canaux pourraient être totalement bloqués dès cet automne. L’appareil de propagande de l’État prendrait alors en otage plus de 140 millions de personnes.
Nous ne voulons pas vivre une nouvelle période de guerre froide. Il est très urgent de reconnecter les citoyens russes à une information pluraliste et au reste du monde. C'est l’essence même de l’Internet que d’assurer cette fonction. Les principaux services dont vous êtes responsables sont devenus les acteurs essentiels de cette mission : les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et les applications mobiles sont les portes d’entrée d’un monde informationnel ouvert. Il est essentiel de les rétablir, faute de quoi, les citoyens russes risquent de se retrouver enfermés dans l’obscurité, seuls avec leur président. Des solutions techniques qui permettraient de restaurer ou de maintenir vos services existent déjà . Une alliance “des ingénieurs contre la dictature” pourrait les développer.
Par exemple, autoriser le domain fronting (ou utilisation de domaine-écran) au sein de solutions cloud – que le Kremlin n’osera pas censurer – serait d’un grand secours pour contourner la censure. A travers la diversité et la notoriété de vos noms de domaine, la technique du "domain Fronting" permet d'aiguiller le trafic des citoyens russes pour leur donner accès aux médias en ligne au cas où ils seraient bloqués.
Les entreprises russes ayant toujours recours au cloud dans le cadre de leurs activités, les autorités du pays ne pourraient pas contrer le domain fronting sans risquer de provoquer d’importants dégâts sur l’économie du pays. Promouvoir l’accès à vos sites bloqués en Russie à travers le navigateur Tor – un navigateur sécurisé – en distribuant leurs URL par le biais d’annonces serait également une excellente façon d’aider les citoyens russes à accéder à un espace Internet non censuré.
Nous exhortons les entreprises de la Big Tech à nous rejoindre dans notre tentative d’empêcher la fermeture des principales plateformes de réseaux sociaux en Russie et de défendre les droits civiques des individus dans le monde entier. Ce dont nous avons besoin maintenant, en tant que groupe de médias indépendants russes, est d’établir un canal de communication entre les représentants de vos plateformes et nous, et d’élaborer ensemble des solutions pour reconnecter les citoyens russes à leurs médias indépendants. La propagande de Vladimir Poutine ne doit pas avoir le monopole de l’attention des Russes.
Nous espérons que vous vous joindrez à nous dans notre tentative d’empêcher la fermeture totale de l’espace informationnel russe en ligne.
Christophe Deloire, Reporters sans frontières (RSF)
Galina Timchenko, fondatrice de Meduza
Ivan Kolpakov, rédacteur en chef de Meduza
Elizaveta Osetinskaya, fondatrice de The Bell
Tikhon Dzyadko, rédacteur en chef de TV Rain
Pavel Kanigin, rédacteur en chef de Prodolzhenie Sleduet Media
Alexander Plushev, rédacteur en chef de Plushev Channel
Sergueï Smirnov, rédacteur en chef de Mediazona
Dmitri Kolezev, rédacteur en chef de Republic
Galina Arapova, PDG du Mass Media Defence Center
Denis Kamaliagin, rédacteur en chef de Pskovskaya Gubernia
Kirill Rogov, fondateur du Re:Russia Project
Victor Muchnik, rédacteur en chef de Beyond Moscow et du The Witnesses of February 24th Project
Ivan Rublev, rédacteur en chef de It’s My City
Ivan Pavlov, fondateur de The First Department Initiative
Lola Tagaeva, rédactrice en chef de Verstka
Ilya Ber, rédacteur en chef de Provereno.Media
Mikhail Klimarev, directeur de l’Internet Protection Society
Alexander Cherkasov, activiste des droits humains
Irina Malkova, rédactrice en chef de The Bell
Roman Anin, rédacteur en chef d’iStories Media
Alesya Marokhovskaïa, rédactrice d’iStories Media
Ruslan Shaveddinov, rédacteur de Popular Politics Channel
Sergei Ukhov, rédacteur en chef de Perm 36,6
Veronica Kutsyllo, rédactrice en chef de Poligon Media et de Khodorkovsy Live
Ivan Zhilin, rédacteur en chef de Kedr Media
Iullia Schastlivtseva, fondatrice de Kedr Media
Taisia Bekbulatova, rédactrice en chef de Holod Media
Mikhail Danilovich, cofondateur de Novaya Vkladka
Ekaterina Martinova, rédactrice de Doxa
Sergueï Parkhomenko, coordinateur du Redkolleigia Project
Olga Romanova, fondatrice de My Russian Rights
Svetlana Anokhina, rédactrice en chef de Daptar.ru
Ilia Shumanov, rédacteur en chef de Transparency International Russia
Maksim Kurnikov, rédacteur en chef d’Echo
Fedor Krasheninnikov, analyste politique, fondateur de la chaîne FedorKrasheninnikov
Oleg Grigorenko, rédacteur en chef de 7x7 Horizontal Russia
Sergueï Lukashevski, directeur du Centre Sakharov, rédacteur en chef de Radio Sakharov
Tatiana Ivanova, rédactrice en chef de Paperpaper.ru
Egor Skovoroda, rédacteur en chef de Mediazona
Mikhail Shubin, rédacteur en chef d’OVD-Info
Cette initiative bénéficie du soutien du prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov, journaliste et rédacteur en chef du quotidien russe Novaïa Gazeta.
“Les régimes totalitaires détruisent les médias indépendants afin de contrôler la société par la propagande. Il ne s’agit plus seulement de censure de publications et de messagers individuels, mais de quelque chose de nouveau, de global. De dangereuses tentatives sont entreprises pour détruire les canaux délivrant du contenu aux citoyens. Aujourd’hui, en Russie, c’est l’ensemble du ‘transport’ de la diffusion de contenu qui est menacé de destruction, en particulier YouTube et Wikipédia. Aujourd’hui, les ingénieurs peuvent aider le journalisme et la société. Ils peuvent trouver et mettre en œuvre des méthodes et des algorithmes fiables pour préserver YouTube, Wikipédia et le VPN. La liberté d’expression actuelle, c’est la technologie. Nous avons besoin d’une initiative commune : ‘des ingénieurs contre la dictature’.”