RSF demande une preuve de vie du journaliste ukrainien Dmytro Khyliuk, “otage d’État” en Russie
Alors que les conditions de détention en Russie reviennent au coeur de l'actualité depuis la mort d’Alexeï Navalny, principal opposant à Vladimir Poutine, dans une colonie pénitentiaire, Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète du sort du journaliste ukrainien détenu en Russie en dehors de toute base légale depuis deux ans. L’organisation a récemment obtenu des nouvelles plutôt rassurantes de Dmytro Khyliuk auprès d’un prisonnier de guerre ukrainien récemment libéré. Mais plus de trace du journaliste depuis que ce dernier l’a vu pour la dernière fois en mai 2023.
La discussion a eu lieu dans un fourgon cellulaire au cours d’un voyage qui aura duré plus de 24 heures, le 12 mai 2023, entre la prison de Novozybkov, située près de la frontière ukrainienne à l’extrême sud-ouest de la Russie, et la colonie pénitentiaire IK-7 de Pakino, un village situé à quelques centaines de kilomètres à l’est de Moscou. Notre témoin Ihor (le prénom a été modifié) fait partie des 14 prisonniers ukrainiens installés à l’arrière de la camionnette lors de ce transfert. Il profite des longues heures de route pour échanger avec le journaliste Dmytro Khyliuk. Les deux hommes étaient voisins de cellules à Novozybkov.
Ihor se souvient que son compagnon d'infortune avait l’air en “bonne forme physique” mais semblait “très marqué psychologiquement”. Il confirme que le journaliste venait de passer “au moins trois mois” à l’isolement, comme RSF l’avait révélé. “Il était surtout inquiet de ne pas pouvoir rassurer ses parents, notamment sa mère qui est malade”, témoigne-t-il Au cours de leur discussion, le journaliste lui raconte avoir demandé à plusieurs reprises la permission de contacter ses parents ou sa rédaction, UNIAN, l’agence de presse ukrainienne. Refus systématique de ses geôliers.
Après leur admission dans leur nouvelle prison en mai 2023, les deux hommes sont séparés. Pour Ihor, la captivité se poursuivra quelques mois plus tard dans une troisième prison située dans la région de Mordovie, quelques centaines de kilomètres plus au sud. Il sera finalement libéré en janvier 2024 sans avoir jamais revu le journaliste. Dmytro Khyliuk a-t-il suivi le même itinéraire ? Aucun élément ne permet pour l’instant de l’affirmer.
“Le récit de ce témoin est une nouvelle confirmation de la captivité de Dmytro Khyliuk. Malheureusement, ni les autorités ukrainiennes, ni le Comité international de la Croix-Rouge, n’ont eu de nouvelles de lui depuis de longs mois. L’actualité récente avec la mort en détention du principal opposant à Vladimir Poutine ne fait que renforcer notre inquiétude et celle des proches du journaliste. Nous demandons aux autorités russes de le libérer et, a minima, de fournir une preuve de vie.
Où est Dmytro Khyliuk ? Que lui reproche-t-on ? Officiellement, rien, si l’on se réfère aux courriers des autorités reçus par différents avocats mobilisés sur cette affaire en Russie. Le régime de Vladimir Poutine ne reconnaît même pas l’avoir dans ses geôles malgré les nombreux témoignages récoltés par RSF attestant de sa détention en dehors de toute base légale. Le correspondant d’UNIAN avait été capturé par des soldats russes devant le domicile de ses parents dans un village au nord de Kyiv le 3 mars 2022.
Début février, RSF a rencontré le commissaire aux droits humains ukrainien Dmytro Lubinets à Kyiv. L’ombudsman a assuré que le journaliste faisait partie des cas évoqués lors des échanges avec les autorités russes concernant les milliers de civils capturés et emprisonnés dans les semaines ayant suivi le début de la guerre le 24 février 2022.
Selon la Media initiative for human rights (MIHR), une ONG ukrainienne de défense du journalisme, au moins 4 000 civils ukrainiens seraient concernés. Leur sort est plus que jamais incertain. À quelques exceptions près – une dizaine de cas seulement depuis un an –, ils sont désormais totalement absents des accords d’échange de prisonniers de guerre, qui ont connu une forte accélération ces dernières semaines.