RSF demande à la Slovaquie des mesures plus ambitieuses pour soutenir l’indépendance des médias
Dix mois après sa rencontre avec le précédent Premier ministre slovaque, Igor Matovic, aujourd’hui vice-Premier ministre, Reporters sans frontières (RSF) dresse un bilan mitigé des mesures proposées par les autorités pour soutenir le journalisme et la fiabilité de l’information.
Le gouvernement slovaque a engagé une vaste réforme de la législation sur les médias. Conformément à l’appel lancé par RSF de “passer des promesses aux actes”, lors d’une rencontre avec le précédent Premier ministre slovaque en février dernier, les autorités ont avancé plusieurs projets de loi en matière de la diffusion des informations. Si certaines mesures sont encourageantes, d’autres pourraient porter atteinte à la liberté de la presse et à l'indépendance des médias.
Celles envisagées pour lutter contre les fausses informations, très répandues dans le contexte de la crise de la Covid-19, sont particulièrement critiquées. Le projet d’amendement du Code pénal - en consultation interministérielle jusqu'au 21 décembre - prévoit de les criminaliser en définissant comme un délit la production ou la diffusion “d’une fausse information qui risque de créer une inquiétude sérieuse d’au moins une partie de la population…, de menacer les vies ou la santé publique ou d'influencer la population lors d’une prise de décision sur des questions importantes d’intérêt général”. Alors que les éléments constitutifs de ce délit sont particulièrement flous ("créer l'inquiétude" ou "influencer la population" notamment), l'infraction est punie de sanctions extrêmement sévères : une peine de prison entre un et cinq ans et jusqu’à huit ans si le délit est commis dans une situation de crise ou en lien avec une entité étrangère. Dénoncé par une partie des journalistes et de la majorité au pouvoir, le texte risque d’ouvrir la porte à des procédures judiciaires abusives contre les professionnels des médias, de créer un effet d'autocensure et de porter atteinte à la liberté de la presse. Par ailleurs, ce dispositif peut facilement être instrumentalisé par des forces politiques autoritaires pour museler les journalistes et ressemble à ceux adoptés en Hongrie et en Grèce et dénoncés par RSF comme liberticides.
Au lieu d'appliquer des peines privatives de liberté pour la diffusion de fausses informations, RSF recommande à la Slovaquie de s'inspirer des solutions conçues par le Forum sur l’Information et la démocratie, l'organe d’application du Partenariat international sur l’information et la démocratie. Cet accord intergouvernemental initié par RSF, rejoint par la Slovaquie le 9 décembre dernier, a pour objectif de promouvoir et mettre en œuvre des principes démocratiques dans l’espace mondial de la communication et de l’information.
"La Slovaquie ne doit pas manquer une opportunité historique de montrer l’exemple en matière de liberté de la presse, au moment où cette liberté fondamentale est plus que jamais menacée par ses voisins hongrois et polonais, déclare le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai. Au titre de sa responsabilité pour toute la région de Visegrad et conformément à ses engagements internationaux, le gouvernement slovaque doit être plus ambitieux dans son soutien à une information fiable et à l'indépendance des médias."
RSF regrette également la décision du ministère de la Culture slovaque d'abandonner la réforme de l’audiovisuel public. Depuis 2017, sous l’actuelle direction de la RTVS, une trentaine de journalistes a été poussée vers la sortie alors que le média public reste particulièrement vulnérable aux influences extérieures, au détriment de son indépendance éditoriale. Face à cette situation, le ministère de la Culture a proposé, l’été dernier, de modifier le mode d'élection du directeur général de la RTVS afin de rendre la direction plus indépendante face aux pressions politiques. Lors d’une consultation lancée en juillet 2021, RSF et deux ONG slovaques, Transparency International Slovaquie et MEMO98, ont validé cette réforme et proposé d'autres mesures pour renforcer l'indépendance éditoriale et financière du média public. Or, le ministère n'a donné aucune suite à cette position commune et aux sollicitations des trois organisations en novembre. Récemment, la ministre de la Culture, Natalia Milanova, a déclaré que la réforme était bloquée par une partie de la majorité, qui souhaite préserver la compétence du Parlement slovaque d'élire le directeur général. La nouvelle élection aura donc lieu au printemps prochain dans des conditions inchangées.
Malgré ces inquiétudes, d’autres réformes engagées par le gouvernement slovaque ont été saluées par les journalistes professionnels et pourraient améliorer la protection des reporters et soutenir la fiabilité de l’information. Un projet de loi sur les publications doit étendre le droit à la protection du secret des sources, aujourd’hui seulement garanti pour les journalistes des médias audiovisuels et papiers, aux médias en ligne. La mesure sera soumise au Parlement slovaque dans les prochaines semaines. Le texte prévoit également d’obliger les médias à déclarer tout investisseur et donateur ayant investi une somme supérieure à 1.200 euros par an. Par ailleurs, dans un pays où la désinformation prolifère grâce à des sites peu transparents sur leurs financement et leurs propriétaires, tous les médias seront contraints de déclarer leurs "bénéficiaires finaux” réels dans un registre public permettant une vérification. Enfin, le projet d’amendements au code pénal réduit la peine de prison prévue pour diffamation de huit à un an. RSF demande toutefois la suppression totale de ces peines d’emprisonnement.
Annoncées par la délégation slovaque lors de sa rencontre avec RSF en février 2021, ces mesures seraient les bienvenues au moment où la justice pour l'assassinat du journaliste du média en ligne, Aktuality.sk, Jan Kuciak, se fait attendre, et où ses collègues continuent d’être ciblés par des procédures judiciaires abusives (SLAPP) ou par des campagnes de haine sur des sites de désinformation.
La Slovaquie se situe à la 35e place dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.