RSF dénonce la mise en place d’une “grande muraille de l’information” sur internet au Cambodge
Un décret, rendu public le 16 février, prévoit la mise en place d’un “portail national d’accès à Internet” permettant au gouvernement cambodgien de bloquer les connexions et les informations en ligne de manière arbitraire. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un système de censure attentatoire au droit à l’information et appelle les autorités à revenir sur une décision qui met Internet sous le contrôle de l’Etat.
C’est un niveau de contrôle de l'information inédit depuis la dictature des khmers rouges. Mardi 16 février, le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, a signé un décret instaurant une “porte d’entrée nationale à Internet” par laquelle les fournisseurs d’accès auront l’obligation de rediriger le trafic des utilisateurs à partir de l’année prochaine. Ce nouvel outil, qui sera régi par un opérateur soumis aux directives du gouvernement, deviendra l’unique point d'accès au réseau par lequel devront passer les 14,8 millions d’internautes cambodgiens pour accéder aux sites Internet nationaux et étrangers.
Si l’objectif officiel de cette mesure, dont on ne connaît pas encore la date précise de mise en œuvre, est de “faciliter et de gérer les connexions Internet domestiques et internationales”, elle cache en réalité une nouvelle arme juridique dont les dispositions permettront le contrôle de l’information en ligne. Car ce portail unique d’accès va donner au gouvernement la possibilité de récupérer les données privées des internautes et de bloquer tout ou une partie des contenus sur Internet.
Le ministère des Télécommunications et tout autre ministère compétent pourront en effet exiger le blocage d’un site ou d’une partie du réseau Internet “qui affectent la richesse, la sécurité, l’ordre social, la moralité, la culture, les traditions et les coutumes de la Nation”, comme le stipulent les articles 6 et 12, qui ne donnent cependant aucune définition précise de ces termes.
Inspiré de la “Grande muraille de l’information” chinoise
Les autorités pourront aussi superviser les activités des internautes. Ceux-ci devront indiquer leur identité pour accéder au portail. Leurs données de navigation, comme leur adresse IP ou leurs historiques, seront stockées par l’opérateur national pendant au moins un an, selon l’article 14, qui ne précise pas de durée maximale de stockage.
Le gouvernement se donne également le droit de surveiller les infrastructures et les équipements des fournisseurs d’accès. Ces atteintes à la confidentialité des navigations en ligne et à la vie privée des internautes constituent une menace pour les journalistes indépendants et une entrave à leur travail.
“La mise en place de ce nouveau portail risque fort de signer la fin de la liberté d’informer sur Internet, qui reste l’un des rares espaces où les voix critiques au gouvernement cambodgien peuvent encore s’exprimer, dénonce le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Le ‘portail d’accès’ prévu par ce texte n’est autre qu’une copie grossière de la ‘Grande muraille de l’information’ mise au point par les autorités chinoises, devenues expertes ès censure et surveillance au niveau international. Le Premier ministre Hun Sen met ainsi en péril le développement de la société civile et l’économie de son pays pour conserver le pouvoir qu’il n’a plus lâché depuis 35 ans. Nous appelons les dirigeants du pays à faire preuve de responsabilité et à abandonner ce projet attentatoire au droit à l’information.”
La “Grande muraille de l’information”, dont s’inspire le décret, a été progressivement mise en place en Chine pour contrôler les informations disponibles aux internautes chinois, comme l’a analysé RSF en 2019 dans son rapport « Le nouvel ordre mondial des médias selon la Chine ».
L’année dernière, le Premier ministre cambodgien Hun Sen avait déjà renforcé son arsenal législatif contre la presse indépendante en adoptant une loi d’urgence institutionnalisant la censure dans tous les médias sous prétexte de lutter contre l’épidémie de Covid-19.
Le Cambodge se situe à la 144e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.