RSF appelle le Sénat algérien à rejeter les dispositions liberticides de la nouvelle loi sur l’information
D’ores et déjà adopté par la chambre basse du parlement algérien, le projet de loi sur l’information encadrant la fonction de journaliste et prévoyant de nouvelles sanctions en cas d’infraction est sur le point d’être soumis au vote du Sénat. Reporters sans frontières (RSF) déplore une absence de concertation en amont avec les professionnels de l’information et s’inquiète d’une volonté de contrôle accrue sur les médias de la part du gouvernement.
Mise à jour du 13/04/2023 : Le Conseil de la nation algérien (Sénat), chambre haute du parlement algérien a adopté ce jeudi 13 avril la nouvelle loi sur l'information. Les sénateurs ont avalisé cette loi controversée avec l'émission d'"une réserve" sur son article 22. Il contient, selon eux, "une contradiction qui s'oppose aux objectifs escomptés par les dispositions de cet article, selon le rapport complémentaire de la commission de la culture, de l'information, de la jeunesse". D'une part, l'article exige du journaliste qui travaille en Algérie pour le compte d'un média de droit étranger d'avoir en sa possession une accréditation qui doit être déposée au minimum 30 jours avant de couvrir un sujet. D'autre part, la commission, dans ses dispositions d'application, considère "insuffisant" le délai de 30 jours. La clarification de cet article sera faite lors d'une prochaine réunion des deux chambres. RSF, qui avait appelé le sénat algérien à ne pas adopter cette loi déplorant au passage une absence de concertation avec les professionnels de l’information, regrette que cet appel n’ai pas été entendu.
Fort de 55 articles, le nouveau code de l’information doit être adopté ce jeudi 13 avril par le Conseil de la nation algérien (Sénat), après avoir été approuvé par la chambre basse de l’Assemblée le 28 mars dernier. Si cette nouvelle législation a le mérite de balayer de nombreux aspects de la profession et du secteur, parmi lesquels le statut de journaliste, le financement des médias, et les instances de régulation et d’éthique professionnelle, certaines modalités comme l’obligation d’une accréditation préalable pour les journalistes travaillant pour un média étranger ou l’introduction d’une batterie de sanctions en cas de manquements ou d’infractions suscitent les plus vives inquiétudes.
“On était en droit d’attendre des pouvoirs publics algériens qu’ils engagent une véritable concertation avec les professionnels des médias pour élaborer un tel projet de loi sur l’information. En imposant un cadre de travail aux journalistes et en sanctionnant notamment certaines formes de financement aux médias, cette nouvelle législation se contente finalement de donner un caractère juridique à une volonté politique de museler la presse. RSF appelle le Conseil de la nation à faire respecter les dispositions de la Constitution sur le droit à l’expression et sur la protection des journalistes et à rejeter les dispositions liberticides de ce projet de loi.
Bien que le texte ait le mérite de simplifier et d’alléger les procédures en matière de création des publications périodiques (journaux et revues) ou de mettre en place une Autorité de régulation de la presse écrite et de la presse électronique - qui serait une "autorité indépendante dotée de la personnalité morale et de l'autonomie administrative et financière, chargée de la régulation des activités de la presse écrite et de la presse électronique", d’autres dispositions sont plus controversées.
Des dispositions qui inquiètent
Ainsi, le projet de loi prévoit l’interdiction aux médias algériens de bénéficier de tout “financement ou aide matérielle directe et indirecte de toute partie étrangère” sous peine de “sanctions pénales prévues par la loi” et d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 millions de dinars (13 500 euros environ), voire de la “confiscation de biens objet de l’infraction”.
Autre disposition, l’outrage fait aux chefs d’États étrangers et aux diplomates accrédités en Algérie, qui expose leur auteur à une amende de 100 000 à 500 000 dinars (670 à 3 300 euros environ). En matière de source journalistique, le texte, s’il énonce que "le secret professionnel constitue un droit pour le journaliste conformément à la législation et à la réglementation en vigueur", exige des journalistes qu’ils révèlent leurs sources à la justice si elle l'exige. Une disposition contraire au principe de la protection des sources.
L'interdiction faite aux Algériens possédant une autre nationalité de détenir ou d’être actionnaires dans un média en Algérie est une autre source d’inquiétude. Cette disposition qui, selon certains juristes, introduit une inégalité entre les citoyens contraire à la Constitution, a été maintenue malgré les critiques et un amendement proposé par un député à l’assemblée populaire nationale.
Le site d’information algérien Interlignes alerte également sur le fait que tous les amendements de fond ont été rejetés. Certains députés ont ainsi, en vain , tenté de modifier la disposition qui prévoit que l’ensemble des membres des deux autorités de régulation soient désignés par le Président, alors qu’actuellement sept des quatorze membres sont élus parmi les journalistes.
Un caractère judiciaire à des pratiques répressives
Dans un contexte de répression soutenu contre les journalistes, le nouveau code de l’information est perçu par des professionnels expérimentés comme un recul et une fuite en avant. “Depuis 2012, explique l’un d’eux, on ne fait qu’assister à une succession de remises en cause des avancées de la loi sur l’information de 1990, qui avait été mise en œuvre dans la foulée des événements d’octobre 1988 et des espérances démocratiques qui les ont accompagnés. Or aujourd’hui, les lois rétablissent quasiment le conformisme médiatique qui sévissait sous le parti unique.” Un autre journaliste déclare, lui aussi sous couvert d’anonymat : "C’est tristement banal : face à l’expression multiforme et souvent critique de la société, les autorités croient que le remède réside en davantage d’autoritarisme. La nouvelle loi ne fait que donner un caractère judiciaire à des pratiques répressives allant à l’encontre des dispositions de la Constitution qui défendent les journalistes et la liberté d’expression.”
L’Algérie occupe la 134e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.