RSF appelle l’OTAN à suspendre tout dialogue avec les Talibans tant qu’ils se proclameront ennemis de la liberté de la presse
A l’occasion du sommet de l’OTAN à Varsovie, RSF appelle ses pays membres à tout faire pour protéger les journalistes et la liberté de la presse en Afghanistan, et à refuser de négocier avec les Talibans tant qu’ils ne s’engageront pas à respecter le droit humanitaire défini par les traités internationaux fondamentaux.
A l’occasion du sommet de l'OTAN à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016, et alors que les ennemis de la démocratie et de la liberté de l’information en Afghanistan ont intensifié leur guerre et leurs menaces contre les journalistes et les médias, Reporters sans frontières (RSF) appelle l’État afghan et les gouvernements de l’Alliance atlantique à défendre clairement et concrètement la liberté d’information, les journalistes et les médias dans le pays. RSF en appelle aussi à l’Union européenne, représentée au sommet de Varsovie par le président du Conseil, le président de la Commission et la haute représentante pour les Affaires étrangères.
«Alors que la communauté internationale s'interroge sur la stratégie à suivre en Afghanistan, RSF appelle les membres de l’OTAN à faire du respect de la liberté de la presse une priorité, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de l'organisation. Nous avons la conviction et l’expérience de ces 15 dernières années ne fait que la confirmer – que la paix, la sécurité et les libertés fondamentales ne peuvent être assurées sans médias indépendants et sans garantie pour la sécurité des journalistes. Tous les négociations et les aides internationales doivent être conditionnées par une politique en faveur de la liberté de l’information, et engagement une lutte contre la impunité dont jouissent les auteurs des exactions à l’encontre des journalistes.»
En Afghanistan, les efforts des journalistes afghans et l’aide internationale ont permis le développement de médias de masse, et une relative protection de la liberté de l'information. Le pays compte désormais au moins 8 agences de presse, 48 chaînes de télévision, 160 radios et 190 publications (quotidiens, hebdomadaires, mensuels et publications à périodicité variable).
Cependant, les médias font face à des troubles qui ébranlent l’ensemble de la société afghane. La crise sécuritaire, politique, économique et récemment constitutionnelle qui frappe la société afghane a de graves répercussions sur le travail des médias et des journalistes, dont le rôle est crucial pour défendre la paix et les libertés fondamentales.
Depuis 2001, les journalistes travaillant en Afghanistan ont payé un lourd tribut. Au moins 35 professionnels des médias ont perdu la vie en raison de leur travail d’information dans le pays, dont 16 journalistes étrangers (4 Allemands, 2 Américains, 2 Français, 2 Italiens, 2 Suédois, 1 Australien, 1 Canadien, 1 Norvégien, 1 Britannique). Dans la majorité des cas, l’impunité demeure la règle. La majorité de ces journalistes ont été assassinés par les Talibans. Depuis début 2016, RSF a recensé au moins une dizaine de cas de violences contre les journalistes et les médias en Afghanistan.
Un épisode illustre la politique assumée des Talibans de saper la paix et la démocratie: l’attaque kamikaze contre le bus de la société de production Kabura, dans laquelle ont été tués 7 collaborateurs salariés de Moby Group, le 20 janvier 2016, attentat contre les médias le plus meurtrier depuis la chute du régime taliban. Or cette attaque avait été préméditée, puisque le 12 octobre 2015, les Talibans avaient qualifié de “cibles militaires” les deux plus grandes chaînes privées du pays, dans un communiqué signé par la «Commission militaire de l’Émirat islamique d’Afghanistan». «Désormais, Tolo TV et 1TV sont considérées par nous comme des cibles militaires et non plus des médias», avaient-ils prévenu, précisant même: «Rien n’est à l’abri de nos attaques, ni le personnel (présentateur, reporters, équipes…) ni les bâtiments eux-mêmes.»
L’OTAN, qui assure le commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (FIAS), a pris un engagement à long terme envers la stabilité de l’Afghanistan, à travers la mission “Resolute Support”, dont les objectifs incluent l’instauration d’un Etat de droit et la lutte contre les extrémismes. Or depuis trois ans, les positions contradictoires vis-à-vis d’une négociation avec les Talibans ont affaibli la société civile, les défenseurs des droits humains et surtout les journalistes dans le pays. Alors que les Talibans assument publiquement de bafouer le droit international et le droit humanitaire, en commettant des crimes de guerre attestés par l’ONU et en attaquant les médias comme des cibles militaires, des pays membres de l’OTAN acceptent et de fait protègent la présence à Doha, au Qatar, d’un bureau de représentation diplomatique des Talibans, dont la plupart des membres sont des anciens responsables du gouvernement Taliban accusés de crimes commis entre 1996 et 2001.
RSF juge inacceptable que les démocraties membres de l’OTAN et l’Etat afghan n’exigent pas comme préalable à toute négociation avec les Talibans une déclaration et un engagement explicite à respecter les traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit humanitaire, à commencer par les Conventions de Genève. RSF s’inquiète également que le président Ashraf Ghani, en appelant une nouvelle fois les Talibans à la table des négociations ce mercredi 6 juillet 2016, n’y pose aucune condition préalable, notamment le respect du droit international et de la constitution afghane.
L’histoire récente de l’Afghanistan démontre qu’il sera impossible de construire la paix sans imposer la justice. Or la violence exercée contre les journalistes est encouragée par l’impunité systématique dont bénéficie les auteurs d’exactions. Or RSF rappelle que l’assassinat de journalistes n’est pas seulement un crime contre la liberté d’expression, mais doit aussi considéré comme un crime de guerre et, à ce titre, être sévèrement condamné.
L’Afghanistan occupe la 120e place sur 180 dans le Classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2016.