RSF appelle au renforcement de la sécurité des journalistes en Afghanistan
Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de la hausse des violences et menaces envers les journalistes et les médias en Afghanistan. En moins d'un mois, six collaborateurs des médias ont été tués et une dizaine de journalistes blessés, tandis que d’autres sont menacés par les Talibans, dans différentes provinces du pays.
Le 31 mai 2017, à la suite d’une énorme explosion dans le quartier diplomatique de Kaboul - Wazir Akbar Khan - Aziz Novin, collaborateur de la section informatique de Tolo News et Mohammad Nazir, conducteur à la BBC, ont été tués. Une dizaine de journalistes, dont quatre de la BBC et trois de TV1 ont également été blessés. Les sièges de TV1 et du groupe de médias Killid, ainsi que la chaîne de télévision privée Shemshad ont subi d’importants dégâts matériels. Le lendemain, la manifestation citoyenne sur le thème de la sécurité a été violentée, quand les policiers ont ouvert le feu en direction de manifestants qui se dirigeaient vers le palais présidentiel. Deux journalistes de la radiotélévision nationale et de la chaîne de télévision privée Aryana font partie de nombreux blessés de cette manifestation qui a fait au moins cinq morts.
Le 17 mai 2017, le siège de la radiotélévision nationale dans la ville de Jalalabad (province de Nangarhâr ) a été attaqué par cinq kamikazes armés. Abdollatif Amiri, Mohammad Amir Khan Shinwari, Naghdi Ghani, Zeinolah Khan Mollakhil, quatre techniciens et employés de la chaîne, ont été tués lors de l’attaque, revendiquée par le groupe Etat islamique. Si la province de Nangarhâr est particulièrement dangereuse pour les journalistes et les médias, de plus en plus de régions deviennent des zones de conflit et des “trous noirs de l’information”, des endroits où la liberté et l’indépendance d’informer disparaît.
Fait inquiétant : les menaces ne se limitent pas aux zones de conflit. Ces derniers mois, plusieurs journalistes situés dans d’autres provinces du pays ont été menacés par messages et appels téléphoniques. Le journaliste d'un des plus grands quotidiens du pays qui souhaite garder l’anonymat, a reçu un message signé des Talibans, faisant référence à l’attaque contre Tolo TV et le menaçant de subir le même sort que «les autres espions des Américains qui ne respectent pas la neutralité journalistique ». Pour ces prédateurs de la liberté de la presse, « la neutralité journalistique » est la ligne officielle qu'ils imposent aux journalistes pour créer des “trous noirs de l’information.”
Conséquence de cette insécurité grandissante : les tensions entre les journalistes et les autorités locales sont de plus en plus fortes. Nombre de gouverneurs ou de responsables locaux ne respectent pas l'indépendance des journalistes. Le 22 mai 2017, Parviz Romel et Nurolah Shirzad, deux journalistes locaux de Reuters et AFP ont été violentés par les forces de police de Jalalabad. Le gouverneur a promis d'enquêter sur cet événement, sans qu’il y ait pour l’instant d’avancée concrète. Le 25 mai 2017, Abdolhai Nemati, le gouverneur de Baghlan a enfermé dans son bureau un journaliste et deux autres collaborateurs de la chaînes privée Arezo pendant deux heures, pour qu’ils effacent une séquence d'interview dans laquelle le gouverneurs s’exprimait sur la situation dans la province.
“Au moment où les menaces et les attaques physiques et verbales à l’encontre des journalistes sont en recrudescence dans le pays, RSF appelle le gouvernement afghan à appliquer les mécanismes de garanties pour la sécurité des journalistes, alerte Reza Moini, responsable du bureau Iran/Afghanistan de Reporters sans frontières. Ces attaques et menaces sont des attaques directes au droit à l’information, entraînant censure et autocensure. Dans cette guerre imposée par les ennemis de la démocratie contre le droit à l'information du peuple Afghan, RSF a choisi d’être aux côtés des journalistes et de tout mettre en œuvre pour défendre la liberté d'information. Alors que le pays est plongé dans une grave crise politique et sécuritaire, nous demandons également aux médias et aux journalistes de gérer avec professionnalisme cette crise”
RSF rappelle que pour garantir la sécurité des journalistes, la communauté internationale doit exiger comme préalable à toute négociation avec les Talibans une déclaration et un engagement explicite à respecter les traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit humanitaire, à commencer par les Conventions de Genève.
Formations et conférences pour la sécurité des journalistes
Du 6 au 18 novembre 2016, Reporters sans frontières (RSF) s’est rendue en Afghanistan, pour améliorer la sécurité des journalistes en rencontrant les autorités, des associations professionnelles. Des journalistes d’une dizaine de médias indépendants nationaux et locaux, venus de différentes provinces (Kaboul, Kapisa, Kandahar, Bamian, Nangarhâr, Baghlan, Koundouz, Farah) ont participé à une formation sur la sécurité organisée par RSF à Kaboul. A cette occasion, la nouvelle édition du guide pratique de sécurité des journalistes, publiée par RSF, en partenariat avec l’Unesco, a été réédité en persan et en pachtoune et distribué aux participants. L’enjeu de cette formation consistait à former ces professionnels des médias qui se rendent en mission dans des zones dites « à risques ».
Le 14 novembre 2016, RSF et son partenaire local - la fédération des journalistes d’Afghanistan - ont organisé une conférence sur «la sécurité des journalistes et la place de l’Afghanistan au Classement mondial de la liberté de la presse». La conférence, composée de responsables d'Etat et d’associations de journalistes*, a été ouverte par le discours de Sarwar Danesh, vice-président et président du comité pour la sécurité des journalistes. Il a insisté sur l'engagement de l'Etat pour protéger les journalistes. Dans deux panels, les participants ont évoqué les nombreux problèmes persistants et proposé des solutions.
Rencontre avec les autorités
Le 16 novembre 2016, le représentant de RSF a été reçu par Sarwar Danesh, le vice-président de la République. Lors de cette rencontre, RSF a affirmé qu’en dépit de la persistance de la violence à l’encontre des journalistes, la liberté de la presse dans le pays connaissait des progrès et que pour améliorer la place de l'Afghanistan dans le Classement, il fallait résoudre la question de la sécurité des journalistes. Le vice-président a remercié les efforts de l’organisation en Afghanistan et renouvelé son engagement de soutenir les initiatives internationales de RSF, notamment la création d’un poste de représentant spécial pour la protection des journalistes auprès du secrétaire général des Nations unies. En septembre 2016, dans son discours devant l’Assemblé général de l'ONU, Sarwar Danesh avait défendu cette initiative. Sur le même sujet dans une rencontre avec Nader Naderi, le Haut conseiller de la présidence et ambassadeur de l’Afghanistan pour la liberté d'expression avait lui assuré de son total soutien aux initiatives internationales de RSF.
Le 13 novembre, RSF a été reçue par Mogeghan Mostafavi, la vice-ministre de l'Information et la Culture pour la presse pour évoquer la question de la sécurité des journalistes et les efforts à faire pour améliorer la position dans le Classement mondial de la liberté de la presse et le respect de la loi sur les médias et l’information par certaines administrations. La situation de la liberté de l'information sur Internet et la nouvelle proposition de la loi contre la cybercriminalité ont été évoqués avec Muhammad Aimal Marjan, le vice- ministre de la Communication et des Technologies de l’information qui a reçu la délégation de RSF le 15 novembre 2016. Lors de l’entretien, le vice-ministre a assuré l'ONG que le gouvernement était engagé pour garantir l’accès libre aux informations sur le net pour tous les citoyens. Il a insisté également sur la manipulation des Talibans sur les réseaux sociaux et la nécessité de lutter contre ces abus, pour justifier la nouvelle loi. RSF a été invitée à donner ses recommandations sur cette loi.
Dans sa deuxième mission, le 7 mars 2017, RSF a inauguré le premier Centre pour la protection des journalistes afghanes (Centre for the Protection of Afghan Women Journalists - CPAWJ), lors d’une cérémonie officielle à Kaboul à laquelle assistaient plusieurs responsables d’État et des personnalités de la société civile.
RSF s’est également rendue dans plusieurs rédactions de médias, parmi lesquelles ToloTV et TV1, Negaah TV, Kaboul news, Killid Group, le quotidien 8sobeh, et a rencontré les journalistes et les dirigeants de ces chaînes.
L’Afghanistan est classé 120e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2017 établi par Reporters sans frontières.
*Etaient notamment présents à la conférence du 14 novembre 2016 organisée par RSF et son partenaire local La fédération des journalistes et des médias d’Afghanistan :
Shah Hossien Mortazavwi, porte-parole de président, Sediqu Sediqqi, porte-parole du ministre de l’Intérieur, Heshmat Radfar, conseiller du chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah, Haress Jobran, responsable de la presse du département sécurité national, Abdullah Azada Khenjani, rédacteur en chef de la TV1, Sediqolah Tohidi, directeur de l’organisation de défense de la liberté de la presse NAI, Rahimullah Samandar, présidente de l’association indépendante des journalistes afghans, Hpolwak Safi, directeur de ToloTv, Sharif Hassanyar, directeur de Ariana Télévisions, Zia Bumia, directeur de l'agence Bakhtar.
L’Afghanistan occupe la 120e place sur 180 dans le Classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2017.