Malgré plusieurs amendements, certains articles du nouveau code pénal, dont l'adoption est prévue le 1er juin, continuent de poser de graves problèmes en matière de liberté de la presse et inquiètent toujours Reporters sans frontières, solidaire des journalistes turcs.
Le nouveau code pénal, ajourné le 31 mars 2005 à la suite de vives contestations de la part des médias et censé entrer en vigueur le 1er juin, préoccupe encore la profession malgré les amendements adoptés par le Parlement turc.
Reporters sans frontières « s'associe aux inquiétudes des journalistes turcs et réclame une nouvelle fois des modifications significatives avant l'entrée en vigueur de ce nouveau code pénal. L'organisation demande notamment l'abolition des peines de prison pour les délits de presse. Loin d'aligner le droit turc sur le droit européen en matière de liberté d'expression, certains articles du code risquent au contraire de faciliter les poursuites judiciaires arbitraires à l'encontre des journalistes et d'entraîner un climat d'autocensure nuisible à la liberté de la presse », a déclaré Reporters sans frontières.
Plusieurs articles de ce nouveau code pénal sont particulièrement dangereux. L'article 305, qui sanctionne de trois à dix ans de prison les actes allant à l'encontre des « intérêts nationaux fondamentaux », menace les journalistes et le droit du public à être informé. Toute revendication sur le « génocide arménien » ou sur « le retrait des forces armées turques de Chypre » serait par exemple considérée comme allant à l'encontre des « intérêts nationaux fondamentaux ». Des dizaines de journalistes ont été emprisonnés dans le passé pour avoir simplement exprimé leur opinion sur ce type de sujet. Les députés turcs ont néanmoins accepté de supprimer l'alinéa 2 de l'article qui prévoyait une augmentation de 50 % des peines si l'infraction était commise par voie de presse.
Autre texte sujet à controverse, l'article 301, qui doit remplacer l'article 159 du code pénal. Ce dernier a servi dans le passé à réprimer sévèrement toute critique envers le Parlement, la justice ou encore les forces de l'ordre. Il s'intitule désormais « Humiliation de l'identité turque, de la République, des institutions et organes d'Etat » et, doté d'un large champ d'interprétation, menace toute personne critiquant l'identité turque, l'Etat ou le Parlement, d'une peine de six mois à trois ans d'emprisonnement. Tout individu qui s'en prend au gouvernement, à la justice ou aux forces de l'ordre risque par ailleurs de six mois à deux ans de prison.
L'article 285 menace les journalistes de quatre ans et demi de prison en cas de « viol du secret de l'instruction ». Il risque sérieusement de mettre à mal le droit à la protection du secret des sources.
L'article 277 punit de deux à quatre ans de prison quiconque cherchera à « influencer la justice », et menace ainsi potentiellement les journalistes qui travailleront sur des procès en cours.
La diffamation par voie de presse, dans le but de soumettre quelqu'un à une enquête judiciaire, d'après l'article 267 du nouveau code pénal, est passible d'un à quatre ans de prison.
L'article 216, ex-312, sanctionne d'une à trois années de prison « l'incitation délibérée d'une partie du peuple à la haine et à l'hostilité par le biais de discriminations raciales, régionales, ou sur la base de l'appartenance religieuse ou de la classe sociale, à l'encontre d'une autre partie du peuple » qui causerait « un danger clair et direct pour le public » (alinéa 1). « L'humiliation d'une partie du peuple due aux différences sociales, religieuses, sexuelles ou régionales est passible de six mois à un an de prison » (alinéa 2). « L'humiliation ouverte d'une personne en raison de ses valeurs religieuses est passible de six mois à un an de prison si le délit peut menacer la paix sociale » (alinéa 3). Cette « humiliation », notion juridique on ne peut plus floue, est susceptible d'être interprétée de façon très large par la jurisprudence et menace directement la liberté d'expression tant des journalistes que de l'ensemble des citoyens.
Cette liste n'est pas exhaustive. Les amendements rédigés par le Parlement avant le 1er juin, dans la version du code pénal tel qu'il devait déjà être appliqué le 1er avril dernier, sont jugés très insuffisants par les journalistes turcs et les associations de défense de la liberté de la presse. Selon ces derniers, seulement six des vingt points qui posent problème auraient été révisés par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan.