Les autorités américaines ont invité plus de six cents journalistes du monde entier à couvrir la guerre en les intégrant à leurs unités militaires. Cette politique d'"incorporation" a été présentée par le ministère américain de la Défense comme une volonté de donner aux médias un accès au champ de bataille sans précédent depuis la guerre du Viêt-nam. Les journalistes incorporés se sont engagés par écrit à respecter une cinquantaine de règles encadrant leur travail parmi les forces armées.
Reporters sans frontières accueille favorablement cette nouvelle politique qui devrait - théoriquement - autoriser une meilleure couverture des événements que lors de la guerre du Golfe en 1991. Mais seule la pratique permettra d'évaluer si les règles d'incorporation, très strictes, satisfont le degré d'indépendance et de liberté requis pour les professionnels des médias. Dès maintenant, Reporters sans frontières émet un certain nombre de réserves.
Le règlement tente de spécifier à la fois les informations interdites à la diffusion et celles qui sont autorisées. Néanmoins, cette répartition reste extrêmement floue. Les commandants d'unité étant désignés, en dernier ressort, comme les seuls juges de la nature, confidentielle ou non, des informations, tout dépendra de l'interprétation qu'ils feront du texte.
Reporters sans frontières s'inquiète par ailleurs du contenu de l'article 6 qui prévoit qu'un "embargo" peut être imposé par les commandants d'unité sur les informations susceptibles de porter atteinte à "la sécurité des opérations" : l'étendue de ces informations est également très floue et la durée maximale de l'embargo n'est pas spécifiée. Ces deux critères sont, là encore, soumis à la seule discrétion du commandant sur le terrain.
Reporters sans frontières considère que les articles 40, 41 et 43 sur l'interdiction de photographier ou de montrer les visages de prisonniers de guerre ou de soldats tués au front portent atteinte au droit d'informer. Il appartient au journaliste, et non à l'armée américaine, de juger selon sa déontologie professionnelle des images de victimes et de prisonniers qui peuvent être diffusées. Les photographies des prisonniers aux visages émaciés, détenus dans les camps de concentration serbes en Bosnie, lors de la guerre de Yougoslavie, montrent, par exemple, que de telles photos constituent une information à laquelle l'opinion doit avoir accès.
Reporters sans frontières s'inquiète enfin des conditions de travail des journalistes non incorporés pour lesquels les autorités américaines n'ont fourni aucune garantie. Ainsi, le Pentagone a mis en garde à plusieurs reprises les journalistes contre les dangers qu'ils encourent. "Lorsque l'armée dit quelque chose, j'engage très fortement les journalistes à en tenir compte. Il en va de leur intérêt propre et de celui de leurs familles", a déclaré le 28 février 2003 le porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer.
Reporters sans frontières recommande aux autorités américaines :
- de garantir aux journalistes incorporés dans les unités de l'armée américaine un degré de liberté compatible avec leur mission d'information. Si les règles d'incorporation reflètent - pour la plupart -
des préoccupations légitimes de l'armée américaine, Reporters sans frontières craint qu'elles soient interprétées de manière trop restrictive,
- de garantir publiquement aux journalistes non incorporés qu'ils auront la capacité de travailler dans des conditions de liberté et de sécurité satisfaisantes, et de leur fournir également un accès satisfaisant à l'information militaire,
- de s'abstenir de prendre délibérément pour cible les émetteurs et les locaux des médias, y compris lorsqu'ils sont utilisés à des fins de propagande. Les biens et équipements des médias sont considérés comme des biens civils, protégés par le droit international humanitaire. La propagande a pour but de soutenir le moral de la population et est inhérente à tout conflit. Or le moral de la population civile ne saurait être un objectif militaire.
voir Déclaration sur la sécurité des journalistes et les médias en situation de conflit armé
- de garantir que les précautions maximales seront prises afin d'éviter de blesser les journalistes, dont la présence en certains endroits est connue.
Reporters sans frontières a publié en février 2003 un rapport dénonçant les atteintes à la liberté de la presse en Irak. L'organisation a condamné les autorités de Bagdad qui délivrent, de manière arbitraire, un nombre limité de visas alors que les journalistes sont très nombreux à en faire la demande. Les journalistes étrangers ne peuvent travailler et circuler librement en Irak. Ces dernières semaines, plusieurs d'entre eux ont également été expulsés du pays. Accusé d'espionnage au profit d'Israël, le journaliste canadien Scott Taylor, correspondant de la chaîne de journaux canadiens Sun et directeur de la rédaction du magazine militaire Esprit de corps, a été expulsé d'Irak le 9 mars 2003. Une journaliste du quotidien espagnol La Razón, Teresa Bó, a également été obligée de quitter le pays le 12 mars 2003. Les autorités irakiennes lui ont reproché de ne pas employer les termes "appropriés" pour parler du gouvernement irakien. Enfin, David Filipov, reporter du journal Boston Globe s'est vu reprocher l'utilisation de son téléphone satellite depuis sa chambre d'hôtel et a été expulsé, le 13 mars 2003, vers la Jordanie.
Intitulé " Les médias irakiens : 25 ans de répression sans faille", l'intégralité de ce rapport est disponible sur le site oufhjezmsy.tudasnich.de.