Reporters sans frontières à Mark Zuckerberg : “ne reléguez pas le journalisme aux caves de Facebook !”
La mise en place d’une nouvelle fonctionnalité, testée par Facebook dans six pays, serait catastrophique pour la survie des médias d’information si elle était généralisée. RSF appelle la compagnie à faire preuve de responsabilité en ne portant pas atteinte à la vitalité du journalisme.
Le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg annonçait le 1er novembre que “protéger la communauté [de Facebook] est plus importante que de maximiser les profits”. Dans le même temps, la société expérimente depuis mi-octobre un nouveau dispositif inquiétant dans six pays. Les contenus journalistiques sont exclus du fil d’actualité principal et relégués dans un espace plus discret, «Explore», si elles ne sont pas sponsorisées. Ce système exclut du “newsfeed” de l’utilisateur les médias auquel le lecteur s’est abonné, pour ne laisser que les posts de ses amis, et ceux des sites ayant payé des publicités.
“L’organisation Reporters sans frontières (RSF) considère que ce dispositif renforce une distribution censitaire et discriminatoire des contenus journalistiques, qui met en péril la vitalité du journalisme, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Quand on sait l’importance qu’ont pris les réseaux sociaux pour l’accès aux médias d’information, il serait dangereux que le journalisme soit relégué aux caves de Facebook.”
Face au tollé provoqué par cette expérimentation, Facebook a dans la foulée annoncé qu’il s’agissait d’un simple test et qu’il n’était pas question, pour le moment, de l’étendre. Si ce dispositif était généralisé, il aurait pour conséquence d’affaiblir un peu plus encore des médias d’information dont le contenu, sur Facebook, est déjà dilué sous un flux de messages sponsorisés ou non journalistiques, relevant de la communication ou de la rumeur, dont la diffusion est amplement favorisée par le réseau social.
“Reporters sans frontières appelle Facebook à faire preuve de davantage de responsabilité, déclare Elodie Vialle, responsable du bureau Journalisme et Technologie de RSF. Les conditions dans lesquelles ce test est mené, l’absence de transparence et les conséquences potentielles pour les médias nous inquiètent au plus haut point. L’objectif poursuivi par Facebook est clair : garder l’utilisateur le plus longtemps possible sur sa plateforme. Mais cela ne doit pas porter atteinte à la liberté et l’indépendance du journalisme en fragilisant ceux qui l’exercent.”
Préserver ce contre-pouvoir que sont les médias
Pas une explication de la firme américaine sur le choix des six pays cobayes (Sri Lanka, Slovaquie, Bolivie, Serbie, Guatemala et Cambodge). D’habitude si prompt à nouer de multiples partenariats avec les médias, notamment via son Facebook Journalism Project, Facebook n’a pas jugé bon de prévenir ces derniers.
Les actions du géant américain peuvent avoir un impact sur la démocratie et la liberté de la presse. Certains sites, dont l’audience a chuté après ce test, constituent uncontre-pouvoir indispensable dans des pays où les régimes autoritaires poussent les acteurs de l’info indépendants des oligarques à migrer sur Facebook.
En Serbie, par exemple, la presse indépendante est muselée par le parti progressiste serbe (SNS) ainsi que le président Aleksandar Vučić depuis l’élection présidentielle du 31 mai 2017. En Slovaquie, les interactions des médias avec leur réseau a été divisé par quatre à la suite du lancement de Explore, analyse Filip Struhárik. “Une entreprise qui a une si grande responsabilité ne peut pas faire ce qui lui chante, écrit le journaliste de Denik N sur la plateforme Medium. Ce que des managers à Menlo Park considèrent comme un petit test peut causer de sérieux dommages dans certains pays.”
Sans accès à leurs lecteurs, certains médias sont condamnés à mourir. Journaliste au site d’informations guatémaltèque Soy52, Dina Fernandez fait part au Guardian de ses inquiétudes quant à la survie de son média. "Le fil Explore a tué 66% de notre trafic. Des années de travail ont été balayées."
Depuis plusieurs années, Facebook a supplanté Google comme intermédiaire principal des internautes pour accéder à l’information, rappelle le journaliste Guillaume Ledit sur le site du magazine français Usbek & Rica. C’est le cas par exemple au Cambodge, l’un des pays où l’expérience est menée, où le réseau social "a dépassé la télévision comme principale source d'information", comme le souligne Jenni Reid, responsable web pour le Phnom Penh Post.
Plongés dans un état de servitude numérique, encouragés à prêter allégeance au géant du web pour assurer leur survie, les médias se retrouvent de plus en plus dans l’impossibilité de faire marche arrière.