Refoulés à la frontière : deux journalistes français visés par la dérive autoritaire en Géorgie

Les journalistes Clément Girardot et Jérôme Chobeaux ont récemment été interdits de territoire sans justification par les autorités géorgiennes. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une dérive inquiétante visant à entraver la couverture journalistique indépendante des mouvements de contestation.
Le photojournaliste Jérôme Chobeaux dépose plainte ce jeudi 10 avril pour son expulsion arbitraire à la frontière géorgienne, une mesure qui fait écho à celle infligée, deux mois plus tôt, au journaliste Clément Girardot. Travaillant en Géorgie depuis plus de dix ans, ce dernier a été interdit d’entrée le 12 février 2025 sans motif valable. Son recours a été rejeté par le ministère de l’Intérieur, et une audience en appel est prévue le 23 juin. L’Ombudsman géorgien (défenseur public) a dénoncé de graves irrégularités et une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.
“L’interdiction d’entrée visant ces deux journalistes français, connus pour leur travail de terrain sur les manifestations après les élections contestées du 26 octobre, s’inscrit dans une stratégie délibérée d’intimidation. RSF dénonce fermement ces refoulements abusifs, appelle le parti au pouvoir à respecter les engagements du pays en matière de liberté de la presse et la France et l’Union européenne à faire pression sur le gouvernement.
Pigiste pour l’agence italienne NurPhoto, Jérôme Chobeaux a couvert pendant deux mois et demi les manifestations post-électorales, avant de rentrer en France. De retour à Tbilissi le 30 mars, il a été arrêté à l’aéroport, détenu plusieurs heures sans accès à son téléphone ni à ses bagages, puis refoulé vers Athènes. Les garde-frontières ont exigé de lui le paiement immédiat en liquide de deux amendes de 5 000 laris (environ 1 650 euros), sans pouvoir en fournir le motif ou la preuve, avant de l’informer qu’il ne serait de toute façon pas autorisé à entrer sur le territoire. Un ordre venu “d’en haut”, selon les mots d’un policier. Le photojournaliste a refusé de signer tout document entérinant son expulsion et n’a reçu aucune notification officielle de ses amendes.
Expulsion sans motif
Le cas de Clément Girardot est tout aussi révélateur. Journaliste de presse écrite collaborant avec des médias internationaux comme Le Monde, Society ou Al Jazeera, il a concentré son travail ces derniers mois sur les mobilisations en Géorgie et leur répression. “C’est peut-être ce qui a conduit les autorités à me placer sur une ‘liste rouge’”, avance-t-il. Le 12 février, en rentrant d’un séjour en France, il a été stoppé à la frontière, convoqué par un officier de police après une longue attente, puis renvoyé sans explication sur un vol retour. L’unique document qu’il a reçu mentionne un motif “autre cas”, sans valeur légale selon son avocat. Malgré ses démarches auprès de l’ambassade de France et d’un avocat local, les autorités géorgiennes persistent dans leur silence sur la raison de ce refoulement.
Depuis les élections législatives contestées du 26 octobre 2024, marquées par des fraudes massives, les journalistes de médias indépendants, locaux et étrangers, sont de plus en plus ciblés par des mesures coercitives : violences policières lors des manifestations, intimidation judiciaire, voire détention, et expulsions. Avant les deux journalistes français, deux autres reporters européens avaient été refoulés juste avant les élections, le Tchèque Ray Baseley et le Suisse Stephan Goss. Ces interdictions de territoire non justifiées visaient jusque-là essentiellement des journalistes exilés de pays autoritaires, en premier lieu de Russie et du Bélarus. Le parti au pouvoir, Rêve Géorgien, multiplie par ailleurs les législations répressives, comme celles sur “l’influence étrangère” ou sur l’audiovisuel, accroissant encore les risques pour les professionnels de l’information.