RDC : RSF et son partenaire JED demandent à toutes les parties au conflit au Nord-Kivu de respecter le travail des journalistes

Au Nord-Kivu, les médias sont directement impactés par le conflit entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les rebelles du M23. Reporters sans frontières (RSF) et son partenaire Journaliste en danger (JED) demandent à toutes les parties de ne pas faire des journalistes des cibles ou des instruments de propagande.

Attaqués, pillés, censurés, ou menacés, les médias sont pris entre deux feux : les violences des rebelles du M23 et les ripostes de l'armée républicaine de la RDC. Il est primordial que les journalistes puissent exercer leur métier de manière impartiale et indépendante, sans subir de pressions. Nous demandons à toutes les parties au conflit de respecter le travail des médias qui ne sont pas des instruments de propagande.

Sadibou Marong
directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.

Mardi 7 mars 2023, un cessez-le-feu devait entrer en vigueur au Nord-Kivu, province du nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). Il devait marquer une trêve des combats qui sévissent dans cette région entre le Mouvement du 23 mars (M23), rébellion qui a repris les armes en 2021, et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Pourtant, les journalistes, directement touchés par ce conflit qui ravive aussi les tensions avec le Rwanda, accusé par le gouvernement congolais de soutenir le M23, ce que Kigali dément n’y voient aucun espoir d'apaisement. Malgré le cessez-le-feu, les combats continuent et les professionnels des médias sont toujours menacés par la nouvelle vague de pressions et de représailles qui les visent depuis début février. 

Menaces et représailles du M23 

Mi-février, les rebelles du M23 convoquent les responsables des médias émettant depuis Rutshuru, chef-lieu du Nord-Kivu, qu’ils contrôlent largement, selon une source proche de RSF. Accusés d’”incitation à la haine”, ils sont sommés de réajuster leur ligne éditoriale. 

Les radios de la région sont interdites de relayer Top Congo FM, l’une des radios les plus écoutées de la région qui émet depuis Kinshasa, et ce, pendant deux mois. Lors de cette même réunion, les rebelles exigent la suppression de l’émission “Sauti ya wahami” (“la voix des déplacés"), diffusée sur plus de 40 radios du Nord-Kivu. Produite depuis Goma par des journalistes ayant fui les zones sous le contrôle du M23, elle donne la parole aux civils déplacés, qui accusent régulièrement le M23 d’être à l’origine des violences subies dans la région. 

Chaque radio se voit également imposer une émission hebdomadaire, nommée “Maisha ya kwetu” (“La vie de chez nous”). Animée par un membre du M23, elle a pour vocation de promouvoir “la cohésion sociale, la paix et le développement, l'encouragement d’un climat d'affaires, d'éducation, de santé et de sécurité”, selon les rebelles. 

Ces injonctions sont assorties de menaces : “Si jamais un journaliste ne respecte pas les consignes, le châtiment ne tardera pas”, a entendu un responsable de média, qui concède : “Nous avons peur, donc nous nous soumettons”. Et pour cause, les milices du M23 se sont déjà violemment attaquées aux médias du Nord-Kivu. 

Le 3 février, des rebelles ont pillé les locaux de la radio Bashali, située dans la localité du même nom. Connus pour leur couverture impartiale du conflit, les journalistes de Bashali ont réussi à sauver une partie de leur matériel avant de prendre la fuite. C’est la deuxième fois que des membres du M23 s’attaquent aux infrastructures des médias. En juin 2022, la station la Voix de Mikeno à Bunagana, dans la même région, a été pillée et saccagée par les rebelles armés. Les journalistes ont fui en Ouganda, pays frontalier de la RDC. 

La pression des autorités congolaises

Aux risques tangibles de représailles du M23 s’ajoute la crainte de sanctions des autorités nationales. Inquiet de la mainmise des rebelles sur l’information dans la région, le Conseil supérieur de l'audiovisuel et de la communication (CSAC), dans un communiqué du 15 février, menace de poursuites légales les médias se pliant aux injonctions et relayant des informations diligentées par le M23. Une réaction “incompréhensible” pour les journalistes : “[Les représentants du CSAC] veulent imposer leur loi dans des zones qu’ils ne contrôlent pas. Si on laisse une heure d’antenne aux milices, ils peuvent nous poursuivre ! Mais nous n’avons pas le choix, le M23 nous fait peur. C’est une véritable prise d’otage.” 

Quelques jours plus tôt, le 2 février, le photographe Ismaël Matungulu, le correspondant et le photographe de l’Agence France-Presse (AFP) à Goma, Aubin Mukoni et Héritier Baraka Munyampfura, ainsi que le correspondant de l’agence Anadolu Augustin Wamenya, sont arrêtés par les FARDC, alors qu’ils réalisent un reportage sur les déplacés dans la ville de Saké, dans le territoire de Masisi, toujours dans la province du Nord Kivu. Bien qu’ils aient annoncé leur présence aux forces gouvernementales, il leur est reproché d’être sur une zone opérationnelle sans autorisation de l’armée. Ils sont ensuite accusés de fournir des informations au M23 et d’être des espions du Rwanda. Ils risquent alors la peine capitale pour trahison. Ismael Matungulu a été relâché le 5 février, ses confrères le 6 février. Les charges ont finalement été abandonnées le 8 février. 

JED dénonce vigoureusement toutes ces attaques contre les médias qui ne font qu'amplifier le conflit. Nous demandons aux responsables politiques de la RDC et du Rwanda de s'impliquer pour faire cesser cette guerre contre la liberté de la presse", déclare Tshivis Tshivuadi, Secrétaire général de JED. 

L’état du conflit devient un tabou dans la presse congolaise. Jeudi 9 mars, le ministre de la Défense nationale, Gilbert Kabanda, a déposé une plainte contre le journaliste du média d’information en ligne Actualite.cd Stanis Bujakera, également correspondant de Jeune Afrique et de l'agence Reuters, l’accusant de propager des rumeurs susceptibles de “démoraliser les troupes des FARDC”. Le journaliste avait simplement rapporté dans un tweet un extrait du compte-rendu du Conseil des ministres faisant état de l'avancée sur le terrain du M23. La démobilisation des forces armées par voie de presse en temps de guerre est passible de la peine de mort. La plainte a finalement été retirée le 12 mars, sous l’impulsion du ministre de la Communication et des Médias, Patrick Muyaya. 

Les journalistes sont aussi régulièrement physiquement pris à partie. Le 11 mars dernier, lors d’une manifestation pacifique organisée dans la ville de Kasindi (nord-est du pays) par des partis d’opposition pour dénoncer le conflit entre le RDC et le Rwanda, deux journalistes ont été brutalisés puis embarqués dans une voiture de police, avant d’être déposés sur une route dangereuse, connue comme étant un repaire des rebelles islamistes des Forces démocratiques alliées (FAD). 

Des tensions diplomatiques qui s’intensifient  

Ces pressions illustrent l’escalade des menaces qui pèsent sur les journalistes à mesure que les tensions diplomatiques s’intensifient entre le Rwanda et la RDC. Début février, le CSAC suspend la diffusion de toutes les chaînes de télévision rwandaises émettant sur satellite pour une durée de 90 jours, les accusant :“d'intox, d'incitation à la désobéissance civile, à l'insurrection générale contre les autorités publiques de la RDC, de dénigrement systématique des institutions nationales et de leurs animateurs, ainsi que d'apologie de la guerre”. Elle intervient en réaction, selon le CSAC, au brouillage de certaines chaînes congolaises au Rwanda.

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