Radio Haïti Inter a décidé de ne plus émettre à partir du samedi 22 février à la suite des menaces et attaques subies par son personnel. "Nous considérons que l'Etat haïtien est en grande partie responsable de cette situation en ne menant aucune enquête sérieuse sur les menaces et attaques dont sont régulièrement victimes les personnes travaillant pour cette station", a déclaré Reporters sans frontières.
Alors que Radio Haïti Inter a décidé de ne plus émettre à partir du samedi 22 février à la suite des menaces et attaques subies par son personnel, Reporters sans frontières déplore la fin des émissions de la radio.
"L'obligation pour Radio Haiti Inter de mettre fin à ses émissions constitue un grave coup porté à la liberté de la presse et au pluralisme de l'information en Haïti. Nous considérons que l'Etat haïtien est en grande partie responsable de cette situation en ne menant aucune enquête sérieuse sur les menaces et attaques dont sont régulièrement victimes les personnes travaillant pour cette station", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation. "Pratiquement toutes les institutions de l'Etat ont fait obstacle à l'enquête sur l'assassinat de Jean Dominique et celui de Jean-Claude Louissaint. L'impunité dans ces affaires a permis aux détracteurs de la radio de poursuivre leurs agressions contre les employés. Ce climat d'impunité créé par les autorités permet aux assassins d'imposer leurs lois", a-t-il ajouté.
Dans un éditorial, lu sur les ondes le vendredi 21 février, Michèle Montas (cf. photo), la veuve de Jean Dominique, propriétaire de la radio, assassiné le 3 avril 2000, a annoncé que Radio Haïti Inter cesserait ses émissions à partir du samedi 22 février en raison de nombreuses menaces: "Nous avons déjà perdu trois vies, nous refusons d'en perdre davantage."
Cette décision fait suite aux sérieuses menaces qui pèsent sur les journalistes et techniciens de la station. Dans une lettre adressée par ces derniers à la direction, le 1er février dernier, ils avaient exprimé leur inquiétude profonde face aux nombreux incidents survenus ces derniers temps.
Michèle Montas a ainsi fait état de coups de téléphone anonymes menaçant les équipes du même sort que Maxime Séïde, garde du corps de Michèle Montas abattu lors d'une tentative d'assassinat le 25 décembre 2002, d'agressions verbales dans l'exercice de leur travail ou bien de surveillances par des véhicules sans plaque tournant aux abords de la station.
La directrice de l'information a cependant précisé que la station ne fermera pas et que la décision de cesser les émissions est temporaire. Elle a ainsi expliqué que les équipes continueront de travailler sur des sujets de fond qui seront diffusés sur d'autres stations ou bien sur les ondes de Radio Haïti Inter quand les circonstances seront réunies. "Ce n'est qu'un au revoir" a-t-elle conclu.
Elle en a profité pour dénoncer le climat général d'intolérance et d'impunité qui règne dans le pays: "Notre silence continuera de poser la question des libertés : la liberté d'informer, la liberté d'expression aujourd'hui menacées par des individus qui se croient au-dessus des lois."
Par ailleurs, elle a ajouté que le combat pour la justice dans l'affaire Jean Dominique ne serait jamais abandonné malgré les obstacles et pressions qui entourent ce dossier et celui de Jean-Claude Louissaint. Les menaces contre la radio se sont accentuées depuis l'annonce de l'éventualité d'un prochain procès des responsables des deux assassinats. Depuis lors, le dossier semble bloqué. L'ordonnance définitive du juge d'instruction qui doit annoncer les éventuelles inculpations n'a toujours pas été rendue.
Le 3 avril 2000, Jean Dominique, le journaliste et analyste politique haïtien le plus connu du pays, était abattu dans la cour de Radio Haïti Inter dont il était le directeur. Connu pour son indépendance de ton, Jean Dominique critiquait aussi bien les anciens duvaliéristes et les militaires que les grandes familles de la bourgeoisie ou, plus récemment, ceux qu'il soupçonnait, au sein de Fanmi Lavalas, le parti du président Jean-Bertrand Aristide, de vouloir "détourner ce mouvement de ses principes".
En septembre 2000, l'enquête avait été confiée au juge Claudy Gassant. Son prédécesseur, le juge Jean-Sénat Fleury, avait demandé à être dessaisi du dossier après avoir reçu des menaces. Le mandat du juge Gassant, qui prenait fin le 3 janvier 2002, n'avait pas été immédiatement renouvelé par le président Aristide et le juge s'était alors réfugié aux Etats-Unis. Il avait subi de nombreuses pressions après avoir inculpé Dany Toussaint, un sénateur de Fanmi Lavalas, le parti du président Aristide.
Le ministère de la Justice n'a jamais assuré de façon satisfaisante la sécurité du juge d'instruction, pourtant menacé. La police a refusé d'exécuter des mandats d'arrêt. Elle est aussi soupçonnée d'avoir livré un important suspect à une foule de manifestants qui l'ont tué à coups de machette. Le Sénat s'est opposé à la levée de l'immunité parlementaire de l'un des siens, Dany Toussaint, pourtant considéré comme le principal suspect. Seule la mobilisation de la société civile haïtienne et de la communauté internationale a empêché le dossier d'être enterré.