Quand l'antiterrorisme justifie l’atteinte aux libertés et l’absence de contrôle judiciaire
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L’Assemblée nationale a adopté le projet de loi antiterroriste, jeudi 18 septembre 2014. Aucun des amendements visant à protéger les libertés fondamentales n’a été retenu.
Le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme était examiné dans le cadre d’une procédure accélérée depuis lundi 15 septembre au Palais Bourbon. Comme lors de l’examen de la loi de programmation militaire, qui comportait des mesures attentatoires aux libertés individuelles, la société civile et de nombreuses associations avaient largement exprimé leurs inquiétudes, en vain. Reporters sans frontières avait averti de la dangerosité d’un dispositif sacrifiant les libertés au nom de la lutte contre le terrorisme, pointant notamment les articles 4 et 9 du projet de loi relatifs à l’apologie et la provocation aux actes terroristes et au blocage administratif des sites internet. Les articles 10 à 15 font quant à eux craindre un affaiblissement de la protection des sources des journalistes.
“La démarche du gouvernement, soutenue désormais par les députés, n’est pas sans rappeler celle qui a inspiré les législateurs américains pour adopter le Patriot Act, en 2001, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. Il a fallu attendre mars 2013 pour que la Cour du district de Californie déclare inconstitutionnelles certaines dispositions. Il est regrettable que la France suive aujourd’hui cette voie. Le législateur doit garder à l’esprit que le respect des libertés, garanties par le juge judiciaire, est essentiel à la lutte contre le terrorisme dans une démocratie.”
L’article 4 du projet de loi prévoit d’inscrire les infractions d’apologie et de provocation aux actes de terrorisme, actuellement réprimés par la loi sur la presse du 29 juillet 1881, dans un nouvel article du code pénal. Les amendements visant à maintenir le délit d’apologie dans la loi de 1881 et à supprimer la circonstance aggravante liée à l’utilisation d’un service de communication en ligne ont été rejetés. Pourtant les risques pour la liberté d’information sont réels alors que la définition du “terrorisme” est floue et complexe. Désormais, pour réprimer des discours, des actes d’investigation comme la détention provisoire ou le placement sous écoute pourront être utilisés.
Atteintes aux libertés sans contrôle judiciaire
L’article 9 du projet de loi confie à l’autorité administrative le pouvoir de demander le retrait de contenus qui relèveraient des délits d’apologie ou de provocations aux actes terroristes et de procéder au blocage de ces sites, sans contrôle préalable du juge judiciaire. La CNIL, autorité indépendante n’ayant aucune compétence en matière de protection de la liberté d’expression, a été désignée comme l’autorité en charge de surveiller cette liste. Les amendements proposant la suppression de cet article ou à tout le moins la mise en place de procédure d’autorisation par le juge administratif ou judiciaire ont été écartés. Les articles 10 à 15 du projet renforcent les pouvoirs des autorités d’enquête. L’article 15 du projet étend le délai de conservation des données issues des interceptions de sécurité de 10 à 30 jours. Cet allongement du délai retarde le contrôle de la CNCIS et comporte le risque de divulgation des renseignements. Le danger de violation du secret des sources des journalistes est réel : en l’état actuel du droit, la loi du 4 janvier 2010 relative au secret des sources n’apporte aucune garantie. Le procureur et le juge d’instruction peuvent écarter le secret protégé en cas de “motif prépondérant d’intérêt public”. Aucun contrôle en amont du Juge des libertés et de la Détention (JLD) ne permettra de vérifier la finalité et le caractère nécessaire de la mesure, et ce malgré les nombreuses demandes de Reporters sans frontières en ce sens. Alors que le risque de restriction des libertés fondamentales est réel, c’est dans un hémicycle clairsemé que se sont tenus les débats parlementaires. La consultation de la société civile et le débat public sont d’autant plus réduits que le projet suit la procédure accélérée. Le projet ne fera l’objet que d’une seule lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.Publié le
Updated on
20.01.2016